Chez LuluLe blog confidentiel d'un veilleur de nuit au cœur tendre2024-01-21T16:52:12+01:00Philippeurn:md5:c05512b4a34be9b87d89fd5ec1e29235DotclearTu parles de vacances !urn:md5:38fc6b2400c5f368de09c8ca4b0be30a2020-10-11T10:13:00+02:002021-11-13T10:36:06+01:00Lucien<p>Lulu va probablement tomber dans un piège, mais il ne peut qu'écouter son bon cœur et voler au secours de son vieil ami.</p> <p>J'ai quitté mon Jura d'adoption, d'adoption toute récente certes, mais d'adoption authentique tant j'ai une envie d'y retourner à chaque instant, j'ai donc quitté mes forêts, ma nouvelle famille, mes lacs et mes renards, pour rendre visite à mon cousin Dédé, celui du midi dont j'ai peut-être déjà parlé, ici ou ailleurs. Si ma mémoire me joue des tours et que j'ai oublié de vous en parler, je le ferai à l'occasion, il ne faudrait pas que vous passiez à côté de sa grande sagesse.</p>
<p>J'ai donc laissé mon <a href="https://auberge.des-blogueurs.org/" hreflang="fr" title="L'auberge des blogueurs">auberge</a> après cette dernière saison, pour prendre quelques vacances bien méritées après trois mois de travail harassant. Gaston et Henri étaient partis à l'autre bout du monde, Jeanne et Adèle se retrouvaient après cette période d'activité intense qui avait bien failli faire couler notre petite patronne, et tout le reste du personnel avait besoin de souffler avant de reprendre nos projets. Un mois d'éloignement ne me semblait pas trop demander, et il me fallait aussi boucler mon dossier de retraite, car c'est officiel, je ne travaillerai plus jamais pour un salaire, après un bon demi-siècle de bons et loyaux services dans une kyrielle d'établissements hôteliers aux quatre coins de la France, à veiller sur les nuits d'innombrables clients.</p>
<p>Des vacances, je n'en ai jamais pris beaucoup au fil des saisons enchaînées comme un marathon au fil des années, et voilà que j'ai réalisé dès le premier jour que ce n'étaient pas des vacances, parce que je n'en aurais jamais plus. La retraite, c'est en effet la fin des jours fériés, des repos hebdomadaires et des congés, comme me l'a fait remarquer ce cher Dédé.</p>
<p>Alors je suis venu dans sa ferme tout près des montagnes, pour reprendre un peu de forces et goûter ses dernières récoltes, car Dédé fait pousser au soleil des Alpes de Haute-Provence les deux ingrédients qui m'aident depuis toujours à supporter la solitude et les souvenirs amers, un rosé bien sec comme les cailloux de ses terres arides, et une variété de puissantes herbes aromatiques qu'on ne trouve pas au supermarché mais dont je ne donnerai pas plus de détails ici, rapport aux ennuis qu'il pourrait avoir.</p>
<p>Et c'est donc attablés devant un assortiment de charcuteries et de fromages du Jura que j'avais pris soin d'apporter avec moi, arrosés de quelques bouteilles de sa réserve personnelle et d'un Macvin que je lui faisais découvrir, c'est donc confortablement installés que nous avons entrepris de refaire le monde et de trouver la signification de toutes choses, choses que l'on ne peut correctement appréhender qu'avec un peu d'aide, et en l'occurence les produits de la ferme font parfaitement l'affaire. Je lui racontais mes péripéties jurassiennes, la nouvelle famille qui m'avait adopté, les renards qui m'avaient apprivoisé, et nous rigolions comme des bossus car je lui rejouais les scènes d'anthologie du comte russe qui avait passé quelques semaines chez nous, roulant les rrrr et gesticulant à la manière d'un grand acteur, ce qu'il était assurément ce cher vieil homme.</p>
<p>Quand mon téléphone sonna, j'ai hésité à décrocher, juste quelques secondes, parce que je n'étais pas certain d'être en état d'avoir une conversation avec un inconnu dont le numéro qui s'affichait ne me rappelait rien. Mais j'ai tout de même répondu, priant pour que ce ne soit pas un appel trop important, car après un premier gramme bien tassé dans le sang on ne peut jamais dire comment une conversation va tourner. Et pas de chance, ce n'était pas un inconnu, mais mon vieux copain Yassine, veilleur de nuit de son état tout comme je l'étais pas plus tard que la semaine dernière, et aussi joueur émérite de oud, un instrument marocain assez semblable au luth mais sans frettes sur le manche. Bref, Yassine, un vieux garçon comme moi avec qui j'avais travaillé il y a quelques années, un amateur de bonne chère et de boisson, un type bien. Yassine travaille dans la vieille ville de Toulon, où il veille sur les nuits d'un petit établissement coquet depuis presque vingt ans. Un établissement que je connais bien, pour y avoir officié quelques nuits par semaine pendant presque une année.</p>
<p>Et là Yassine m'explique, catastrophé, que sa vielle maman est décédée il y a deux jours, et que sa famille l'attend au pays pour les funérailles. Il doit absolument y aller, et n'a personne pour le remplacer. Il en a parlé au patron, qui veut bien le laisser s'absenter à la condition qu'il trouve lui-même quelqu'un pour prendre sa place. C'est ainsi les patrons, mon Lulu, ils se fichent bien de ta vie même si ça fait des lustres que tu t'échines pour leur compte. Personne d'autre ne peut le dépanner, et sachant que je viens de finir une saison, il se demande si je ne pourrais pas lui rendre ce petit service, quelques jours pas plus, le temps de faire l'aller-retour au village et régler la succession avec ses frères et sœurs. Et puis, ça ne sera pas difficile, je connais la maison et le taulier, il me laissera de quoi manger et de quoi boire, et je n'aurai qu'à changer de lit pour quelques nuits, les clés de chez lui sont à leur place habituelle et il y aura même une petite surprise pour moi dans la boîte à cigares, bref ce sera presque une partie de plaisir. Il est habile, Yassine.</p>
<p>Et j'ai dit oui, bien sûr, parce que je ne pouvais pas le laisser tomber. Me voilà parti pour Toulon, pour encore une fois faire le poireau de onze heures du soir à sept heures du matin, une fois que j'espère bien être la dernière. Mon Lulu, les vacances ça se mérite. Pourvu que ça se passe bien.</p>En route vers de nouvelles aventuresurn:md5:9209e95cb242f8b78871a745bb4a6a982020-09-16T23:30:00+02:002020-10-04T13:37:48+02:00lucien-durand<p>La véritable aventure commence pour le personnel de l’auberge</p> <p>Tout le personnel semblait un peu perdu aujourd’hui, après le départ du dernier client, en réalisant que la saison était terminée, et pas un soupir de soulagement ni cri de joie n’ont été poussés lorsque Jeanne a fermé cérémonieusement la porte de l’auberge et accroché le panneau “Fermé” à l’une des doubles portes. Joli panneau d’ailleurs, peint par Adèle, avec une toute petite illustration d’un renard en médaillon, qui cligne de l’œil et sort une joyeuse langue.</p>
<p>En cinquante ans dans le métier, mon Lulu, tu en a vu des fins de saison, quelquefois tristes car on quitte des amis, quelquefois festives, quelquefois aussi qui provoquent un sentiment bienvenu de libération. Dans une saison, des couples se sont formés, des amitiés ont commencé ou se sont taries, des patrons ont été jugés et des employés remerciés, des rancunes perpétuelles se sont installées, et c’est une équipe de survivants qui parvient au bout de la croisière, après seulement avoir débarqué le dernier passager. Des survivants joyeux ou harassés, selon l’état de la mer qu’ils ont rencontré.</p>
<p>Autant dire qu’il n’y a pas toujours de festins et de grandes rigolades, d’abord parce que personne n’a attendu pour célébrer la fin et que certains ont encore un furieux mal de crâne de la veille, c’est en général mon cas car je fête la fin plusieurs fois, ensuite parce que tout le monde est pressé de mener à bien les projets qui ont passé plusieurs mois à mûrir au fond des têtes, et ça tombe bien parce qu’on a la paye, les économies de tout cet argent gagné qu’on n’a pas eu le temps de dépenser, et qu’on peut enfin les enclencher ces projets, il s’agit de ne pas perdre de temps. L’une doit voyager, un autre retrouvera sa famille, un autre encore va concrétiser un rêve, tous ont préparé cet après avec minutie.</p>
<p>Le dernier jour, la saison est finie, oubliée. Les souvenirs reviendront plus tard. Le dernier jour on règle éventuellement ses comptes et on pense surtout à partir, à prendre la route.</p>
<p>Mais pas aujourd’hui, pas cette dernière saison, pas dans cette auberge qui ne fait décidément rien comme les autres.</p>
<p>Nous nous sommes tous regardés avec des sourires niais sur la figure, il y a eu quelques rires discrets, puis nous avons suivi Jeanne dans le salon, et nous avons commencé à parler de son projet, de notre projet à tous maintenant. Nous allons rester ici. Et pour les détails, comme dirait Natou, c’est nos affaires, c’est privé.</p>
<p>Ce soir j’ai un peu bu, un peu plus que de coutume à cette heure, parce que je ne vais pas travailler. Je n’irai sans doute plus jamais travailler d’ailleurs, mais je m’occuperai de notre auberge. Je peux dire notre auberge parce qu’elle sera bientôt aussi à moi, une toute petite partie en tout cas, car je vais y investir toutes mes économies. Il y en a des saisons dans mon petit pactole que je n’ai jamais vraiment su dépenser. C’est le moment qu’il serve à quelque chose.</p>
<p>Je vais devoir m’habituer à dormir la nuit, à ne plus veiller sur personne, sauf peut-être encore un peu sur les renards, jusqu’à ce qu’Adèle se sente capable de le faire. J’irai les voir tout à l’heure. Pour les clients, je ne peux m’empêcher d’y penser et de souhaiter qu’ils soient bien rentrés et que tout se passe bien pour eux, cette nuit où ils sont tous loin d’ici.</p>
<p>Et puis demain je me lèverai et je viendrai voir les copains et les copines, et on parlera encore. Une vraie aventure comme j’en rêvais commence, mon Lulu. Aujourd’hui même.</p>Juste un petit caillouurn:md5:9884afd429abb35bdd6b7cb7155e49ba2020-09-08T10:01:00+02:002020-10-04T13:35:58+02:00lucien-durand<p>Lucien change de plans pour sa retraite, et prévoit de rester à Pollox quelque temps après la saison.</p> <p>Cette saison extraordinaire se termine bientôt, et il est temps mon Lulu de se mettre en place pour la suite. Extraordinaire, elle l’a été, cette saison, et je serais tenté d’en faire une longue histoire, que je raconterais avec les pensionnaires, nos pensionnaires auxquels je me suis bien volontiers attaché durant ce bel été finalement tranquille et à la fois riche en émotions, mais il paraît qu’il ne faut jamais en parler avant la vraie fin, d’une saison, pas avant d’avoir tourné la clef dans la porte, et d’avoir accroché le panneau Fermé à l’entrée du chemin. Je le raconterai donc une autre fois. Ce n’est pas que je sois <span jsslot=""><span data-dobid="hdw">superstitieux</span></span> car, d’après mon cousin du midi, ça porte malheur d’être <span jsslot=""><span data-dobid="hdw">superstitieux, et même si j’ai quelquefois du mal avec sa logique floue, je respecte toujours l’avis de Dédé, et je suis ses conseils à la lettre, autant que possible.</span></span></p>
<hr />
<p>Dédé à qui j’ai donc parlé la semaine dernière de mon petit problème de santé, et qui m’a or-do-nné de consulter un docteur dès le lendemain et de lui faire mon rapport illico, parce que <em>avé le sang, on ne rigole pas, mon Lulu, il faut t’en occuper de suite</em>, et j’ai donc obtempéré pour ne pas passer pour un lâche. Le jeunot qui m’a ausculté avait l’air de bien s’y connaître, et j’ai bien vu qu’il était compétent car il n’a pas fait la moindre allusion à ma consommation d’alcool dans son diagnostic. Il me l’a demandé, certes, si je buvais, mais au milieu de toutes les autres questions habituelles sur mon âge, mon poids, mes habitudes alimentaires et mes antécédents. Et lorsqu’il a noté ma réponse, il a fait mine de rien, comme si je lui avais donné l’heure, il m’a souri et m’a pris la tension. Je le surveillais pourtant du coin de l’œil, parce que c’est souvent après ma réponse à cette question précise que l’attitude change imperceptiblement dans le regard du mauvais professionnel. Mais pas chez lui. Ça c’est du toubib ! Il m’a surtout interrogé et aidé à me souvenir qu’il y a une quinzaine j’ai eu des douleurs dans le dos et l’abdomen, qui ont duré une bonne journée et disparu depuis, et que le saignement était intervenu après cet épisode. Il m’a ensuite regardé, sincèrement navré mais avec un sourire malicieux, et expliqué qu’il y avait une forte probabilité pour que ce soit un petit caillou tombé dans la vessie et venant des reins, et qu’il allait falloir qu’il sorte par le seul orifice naturel qui soit sur son chemin, et que j’allais déguster comme un damné le jour où ce fichu caillou finirait par trouver la sortie, parce qu’il avait l’air d’être gros.</p>
<p>Enfin, il ne l’a pas dit exactement comme ça, et il me fera faire aussi des tas d’examens pour tout bien vérifier, mais je l’ai compris et raconté ainsi le soir même à Dédé, à qui c’est supposément arrivé une fois et qui m’en a donné tous les détails les plus inquiétants, dont les affreuses barbules entourant le petit caillou et qui raclent l’intérieur du canal urinaire jusqu’au bout du… aïe, tout cela avec force halètements et hurlements au téléphone.</p>
<p>Salaud de Dédé, je suis sûr qu’il a tout inventé pour me faire peur. Et je suis à la fois rassuré sur l’avenir et terrifié par anticipation de cette douleur. J’aurais préféré quelque chose de plus grave mais qui fait moins mal.</p>
<hr />
<p>Cette saison se termine donc bientôt. Il s’en sera passé des choses, dans ma tête et dans mon cœur, pendant ces trois mois d’été, et je vais changer mes plans de retraite. Je n’ai pas d’endroit où aller et où je serais mieux dans ma peau qu’ici, et j’en ai causé avec ma logeuse, Madame Grolleix, qui m’a fait une proposition : je peux rester chez elle le temps que je veux, moyennant naturellement une participation à notre consommation de vin jaune, ce que je fais déjà, un peu de bricolage si elle ne veut pas déranger Henri ou Gaston, et surtout de la compagnie dont elle n’aimerait pas se passer après trois mois d’entrainement à nos petits apéros, elle se préparant à sa soirée télévisée, moi réunissant mon courage pour une nouvelle nuit de labeur. Tous les jours, depuis quatre-vingt-cinq jours. Elle y a pris goût, et je dois dire que moi aussi. N’écoutant que mon courage, j’ai accepté, et je vais donc rester un moment dans le paysage.</p>
<p>Jeanne a des projets pour l’avenir de l’auberge, de beaux projets. Je croyais voir arriver la fin, mon Lulu, et ce n’est que le début.</p>Les chiens noirs du Mexiqueurn:md5:c97bafab991bea7157769771364c9b852020-08-27T11:11:00+02:002021-11-13T10:36:47+01:00lucien-durand<p>Lucien s'inquiète pour sa santé.</p> <blockquote>
<p>Je voudrais pas crever</p>
<p>Avant d'avoir connu</p>
<p>Les chiens noirs du Mexique</p>
<p>Qui dorment sans rêver</p>
<p>Les singes à cul nu</p>
<p>Dévoreurs de tropiques</p>
<p>Les araignées d'argent</p>
<p>Au nid truffé de bulles</p>
<p>...</p>
</blockquote>
<p>C'est un peu inquiétant, que je boive du rouge ou du blanc, je pisse toujours du rosé.</p>
<p>Il faudrait que je consulte, s'agirait pas mon Lulu de la gâcher cette retraite, ou même de la commencer par une descente, alors que tu en rêves de plus en plus souvent et que tu découvres tous les jours qu'il te reste tant de choses à faire, tant de paysages à découvrir, tant de mondes et d'animaux inconnus à rencontrer, et peut-être et surtout tant de petits Lulus à sauver, et tant de bonheurs à partager avec cette nouvelle famille qui est entrée, contre toute attente, dans ton vieux cœur de célibataire.</p>
<p>Ces deux familles devrais-je dire, parce qu'il y a celle des renards aussi, bien que j'aie commencé à m'organiser pour laisser ma place à la petite Adèle, elle est douée, je l'ai bien vu l'autre soir, et elle saura le faire bien mieux et probablement plus longtemps que moi.</p>
<p>Et si je venais à partir d'ici, eux resteront, et j'espère beaucoup qu'elle aussi.</p>
<p>Mais qu'est-ce que tu racontes ? Ça va s'arranger, mon Lulu, c'est juste une petite alarme.</p>
<p> </p>Les renards d'Adèleurn:md5:58dab5a957d3a4851f0a8ca29717abc42020-08-25T11:45:00+02:002020-10-04T13:32:18+02:00lucien-durand<p>Lucien accompagne Adèle pour sa première observation des renards. Il ne regarde pas les renards bien longtemps.</p> <p>Nous l’avons faite, cette visite aux renards, Adèle et moi. Le raconter m’aidera sans doute à faire revenir les larmes de joie qui ont coulé sur mes joues, ce sont des larmes que l’on aime faire couler de temps en temps avec nos souvenirs, il ne faut pas en avoir honte, comme ne dirait pas mon cousin du midi, parce qu’il ne pleure pas, le Dédé, ou alors peut-être en cachette.</p>
<p>J’ai réveillé la gamine, qui a bondi comme un diable du canapé, attendant sa surprise et la cherchant déjà des yeux. Évidemment il n’y avait pas de surprise dans le salon, et elle l’a remarqué très vite, parce qu’elle avait pris la précaution d’inspecter la pièce du regard avant de s’assoupir hier soir. Elle en a dans le crâne cette petite, et j’ai pensé encore une fois que j’avais bien fait de l’adopter pour la soirée.</p>
<p>Alors nous sommes sortis du salon, avons passé la réception, et avons pris place côté lac sur le gravier d’Henri, juste à la distance qu’il faut, et nous avons attendu en silence, elle se retenant de parler car elle avait déjà compris depuis la sortie du salon qu’elle ne tirerait pas un mot de ma bouche, moi parce que je savais que six paires d’yeux nous surveillaient dans les buissons. En passant devant l’accueil, j’avais éteint la lumière dans l’entrée, et l’obscurité nous enveloppait. Et dans les yeux d’Adèle, je vis tour à tour la curiosité puis la contemplation s’installer. Nous respirions tranquillement, et regardions les reflets des étoiles sur le lac, elle guettant un mouvement, moi profitant de cette attente.</p>
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<p>Les renards sont arrivés, comme à leur habitude, la mère en tête et les renardeaux la suivant, tous flairant les effluves de nos corps d’humains au milieu de toutes celles de la nature, reconnaissant mon odeur et celle d’Adèle, car si je les vois presque chaque nuit depuis leur enfance et qu’ils me connaissent bien, ils connaissent aussi les odeurs de tout le personnel et de beaucoup de clients, et ce sont des odeurs qui n’inquiètent pas, ou qui parce qu’elles ont été souvent rencontrées font partie de leur paysage de fumets. On s’en méfie de ces odeurs, mais pas au point de détaler, il y a quelquefois des friandises à récolter, et quand Lulu est là les friandises sont toujours au rendez-vous. Les renardeaux ont presque la taille d’adultes maintenant, c’est surprenant la vitesse à laquelle ça pousse, ces loustics, et plus aucun ne joue ni ne caracole comme il le faisaient il n’y a pas plus d’une semaine. Je suppose qu’ils apprennent maintenant avec leurs parents à se prémunir de tous les dangers qui les guettent. Courage les enfants, vous vous débrouillez déjà comme des chefs.</p>
<p>Adèle a commencé à ouvrir ses mirettes comme des soucoupes, elle a ouvert la bouche pendant quelques instants mais s’est reprise en me voyant l’observer, et elle a par la suite juste souri, un de ces sourires qui font tellement de bien à voir qu’on en oublie de le quitter des yeux. Et j’en ai effectivement oublié de le quitter des yeux, le sourire d’Adèle, et aussi j’en ai oublié tout le reste, et je me suis pris à rêver, et l’histoire d’Adèle avec ses renards s’est arrêtée pour moi sur ce sourire.</p>
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<p>Mais l’histoire ne s’est pas arrêtée pour elle parce que sitôt rentrés dans l’auberge, elle m’a demandé combien de fois je pourrais la ramener avant la rentrée, si on pourrait les samedis ou pendant les vacances, comment faire pour qu’ils s’approchent et qu’on puisse les caresser, que mangent les renards si on ne leur donne rien, et surtout en hiver, que font la mère, le père et les petits de leurs soirées, combien pèsent-ils chacun, et encore une foultitude de questions auxquelles je ne répondais pas, lui laissant le loisir plus tard d’imaginer ou de rechercher les réponses, avant que je ne la mette au lit et la recouvre pour qu’elle n’ait pas froid. Elle s’est endormie en quelques secondes, ou peut-être faisait-elle semblant pour se replonger dans son souvenir, c’est ce que j’aurais fait à sa place.</p>
<p>M’est avis, mon Lulu, que cette histoire de renards est loin de son dénouement pour la gamine.</p>Les petits Lulusurn:md5:c34d881391c621b0444e9478a9b6daca2020-08-13T17:43:00+02:002020-10-04T13:30:17+02:00lucien-durand<p>Lucien a une idée de cadeau d’anniversaire pour Adèle, et ce sera un cadeau peu banal qui, il l’espère, ravira son cœur d’enfant.</p> <p>Durant ma ronde dans les étages la nuit dernière, en passant devant la chambre 13, j’ai entendu pleurer un bébé, et je me suis arrêté pour écouter. Ce n’était pas fort, et pas vraiment des pleurs, juste un petit gémissement d’inconfort, comme s’il avait rêvé et s’était réveillé quelques instants, puis, rassuré, s’était retourné dans son berceau et s’était rendormi. Ils font des bruits comme ça, les tout petits, au milieu de la nuit, et on sursaute en pensant qu’ils pourraient être malades, on s’en fait une montagne durant quelques secondes, et puis ils reprennent le cours de leur nuit et nos inquiétudes s’en vont avec leurs rêves. Je ne sais pas si ses parents l’avaient même entendu, tellement son réveil m’a semblé bref. J’ai attendu quelques minutes pour vérifier qu’il s’était bien rendormi, murmurant dans ma tête une petite berceuse, et puis n’entendant plus rien, j’ai repris le cours de ma promenade. Brave petit Lulu, je lui ai souhaité silencieusement de faire de beaux rêves et d’avoir une belle vie, de grandir choyé et aimé et de devenir un grand garçon fort et costaud comme Gaston, et j’ai imaginé comme souvent que ce tout petit aurait pu être le mien, aurait dû même, si la vie m’avait distribué les bonnes cartes, ce qu’elle n’a pas fait malheureusement, je l’ai peut-être déjà raconté.</p>
<p>J’ai toujours aimé les bébés, peut-être simplement parce que j’ai tellement voulu en avoir des dizaines, qui gambaderaient autour de moi dans mon salon, au son de musiques enjouées et au milieu de tas de peluches et de ballons. Je m’en serais si bien occupé, de ces petits Lulus, leur racontant des histoires, leur chantant des berceuses, leur concoctant de petits plats et m’émerveillant devant chacun de leurs accomplissements, comme le font tous les parents, du moins je l’imagine. J’aurais tant aimé m’inquiéter de leur première dent, chasser leurs cauchemars, préparer leurs cartables pour leur entrée à l’école, et les soutenir au moment de leurs premiers amours. Mais cela n’est pas arrivé, alors j’ai gardé au fond du cœur tout cet amour qui débordait, comme un ruisseau qu’on ne peut contenir, et je l’ai déversé sur les enfants des autres, parce que je ne pouvais pas le garder pour moi. Et ces enfants des autres, filles ou garçons, sont pour moi autant de petits Luciens et Luciennes, et ils sont un peu à moi, un tout petit peu, parce que je pense à eux, parce que je me soucie de leur avenir et de leur santé, et de leur bonheur, tous autant qu’ils sont.</p>
<p>Alors quand j’ai appris que c’était bientôt l’anniversaire d’Adèle, la petite Lulu de Jeanne, la petite Lulu de toute l’auberge maintenant, j’ai commencé à chercher dans ma petite tête ce que je pourrais bien lui offrir, ce qu’elle aimerait que je lui donne ou lui montre, une chose qu’elle n’aurait jamais eue ou vue, ou même imaginée. Il ne s’agissait pas de lui faire un cadeau matériel, je serais bien en peine de savoir ce dont elle a besoin ou envie. Il me fallait quelque chose que d’autres n’auraient pas eu l’idée de lui offrir, une chose qui lui ferait se rappeler son tonton Lucien pendant au moins quelques semaines, et j’ai finalement trouvé : je vais lui offrir un renard ! Je connais peu d’enfants qui ont un renard, sauf les petits princes qui peuvent tout s’offrir, et j’ai pensé qu’elle était elle aussi une petite princesse et qu’elle le méritait, de découvrir les étoiles à l’heure où tout le monde dort, et de se faire un ami, un ami que peu d’enfants peuvent avoir, un ami que l’on ne partagera pas avec les copains d’école, un ami secret comme aiment en avoir les enfants qui grandissent.</p>
<p>Ce soir, j’en parlerai à Jeanne, pour lui demander la permission de faire dormir sa petite Lulu dans le salon, et la réveiller à l’heure de nourrir mes visiteurs nocturnes, en espérant qu’elle accepte et que je puisse voir l’émerveillement dans les yeux de la gamine, car je ne les regarderai pas eux, les renards que je connais si bien, mais j’aurai le regard braqué sur son visage à elle pour y saisir les étincelles que je rêve d’allumer dans son cœur. Qui sait, elle pourrait même avoir la chance d’être adoptée par un des renardeaux, comme l’avait été l’amie de Gaston, celle qui s’était enfuie dans les bois avec ma petite famille ?</p>
<p>Là mon Lulu, tu as trouvé un cadeau digne de cette petite, j’espère que ça lui plaira.</p>Et si on faisait du ski ?urn:md5:ceed47a434f685b93c683e4940a1234d2020-08-07T10:59:00+02:002020-10-04T13:28:23+02:00lucien-durand<p>Lucien a une idée lumineuse pour assurer l’avenir économique de l’auberge, et l’on voit ainsi qu’il n’est pas si bête.</p> <p>En silençant de concert, l’autre soir avec Henri, et après avoir incidemment appris les inquiétudes de Jeanne au sujet de la viabilité de son auberge, il m’est venu des tas d’idées qui méritaient un peu plus de réflexion. Après le passage de la patronne, qui n’en a pas parlé ouvertement mais je savais bien que cela la tracassait, elles se sont affinées, ces idées, et je crois que je tiens peut-être un début de commencement d’ébauche de solution. Bien sûr, je m’en méfie toutefois, de mes intuitions, parce que je ne suis pas un modèle de gestionnaire, ayant déjà par le passé coulé magistralement ma propre affaire, un épisode peu reluisant de ma vie professionnelle que je prendrai peut-être le temps vous raconter un jour.</p>
<p>Car il semblerait que Denis, dans son obsession pour les chiffres qui l’a mené là où l’on sait, le pauvre gars, ait mis le doigt sur au moins quelques vérités au sujet de la rentabilité de l’auberge. Je ne suis pas un habitué des bilans et autres manipulations comptables, pas comme Gaston qui vous l’expliquerait bien mieux que moi, rapport à son passé de loup de la finance si j’ai bien compris ses allusions sur la constitution de sa fortune, mais je vois bien que le pari de Jeanne a un défaut majeur : celui de devoir réaliser, en à peine trois mois de saison, assez de chiffre d’affaires pour vivre de son investissement toute l’année. C’est très court, même si le taux d’occupation de l’établissement est impressionnant et ferait envie à n’importe laquelle de mes précédentes patronnes. Pensez donc, cent pour cent d’occupation de l’ouverture à la fermeture, et cela au bout du monde et quasiment sans publicité ni commissions d’agence à verser, au point que je me demande encore par quelle magie notre petite Jeanne a réussi à faire connaître son auberge aux quatre coins du pays et même de l’Europe. Car comment expliquer la présence, au fond d’une forêt du Jura, d’un comte russe, de deux japonais même si l’un d’eux est suisse, d’une aristocrate autrichienne et de voyageurs ayant parcouru toute la planète, bien loin des destinations touristiques habituelles d’une clientèle internationale ?</p>
<p>Alors dans ma petite tête de Lulu je me suis dit que nous sommes dans une région qui ne vit pas que du tourisme d’été, si on peut appeler été le semblant de saison estivale que nous avons par ici. Mon cousin Dédé, celui du midi, vous dirait même que ça ressemble furieusement à l’hiver en Provence, avec certes de belles éclaircies mais quand même pas mal de pluie, et des températures bien fraîches la nuit et le matin, que je ressens lors de mes observations renardesques quotidiennes. Pas frileux, le Lulu, mais il a toujours besoin d’une petite laine au milieu de la nuit pour s’asseoir dans le gravier sans bouger, attendant que sa petite famille apparaisse et se livre à son petit repas et à ses jeux nocturnes.</p>
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<p>Et c’est justement cet air frisquet qui m’a fait penser que pendant l’hiver, il doit faire dans ces bois qui nous entourent des températures glaciales, et qu’il doit y avoir de la… oui, <strong>de la neige</strong> ! Bon sang, mais la neige, ça fait venir les touristes partout où il y en a ! La neige, ça fait penser pour un établissement hôtelier à de longues soirées devant la cheminée, à des bols de vin chaud ou de délicieux grogs fumants et fleurant bon le rhum des tropiques, à des promenades en raquettes dans les bois, à des traces de pattes de renards sur l’immensité blanche autour du lac, lac qui serait assurément gelé durant un bon trimestre et où l’on pourrait probablement patiner, à de douces pentes que des enfants se régaleraient à dévaler sur leur luge, et surtout, disons le mot qui attire la clientèle, à <strong>du ski</strong> ! Peut-être pas du ski de piste, avec ses remontées mécaniques qui dénaturent les paysages des montagnes, non, je ne le souhaiterais pas pour ce lieu si préservé, mais du ski de fond, celui qui attire les amoureux de nature et d’exercice à l’air frais. De longues balades dans la forêt avec ses arbres croulant sous leur manteau blanc, dans ce silence si particulier qui étouffe tous les sons, ça serait tellement enchanteur qu’il n’y aurait pas de difficultés à remplir l’établissement</p>
<p>On pourrait ouvrir dès les vacances de Noël, et probablement tenir jusqu’à celles de Pâques, ce qui doublerait assurément la recette et assurerait du travail à nos petits jeunes. La cuisine de Janette nous garantirait une satisfaction de la clientèle, et il ne suffirait que de persuader Gaston de monter une lame de chasse-neige sur son tank pour assurer l’approvisionnement et l’accès au village. Bien sûr, notre cheffe ne pourrait pas habiter dans sa caravane, mais elle pourrait prendre ses quartiers d’hiver au troisième, sous les combles, et elle pourrait nous régaler de fondues, raclettes et autres plats locaux roboratifs. Henri n’aurait plus à ratisser ses graviers et devrait plutôt couper du bois et déneiger le parking, et moi je pourrais sans doute rester un peu pour les aider, avec ma retraite qui économiserait à Jeanne un salaire de trop. Et ça ne serait pas pour moi bien fatigant, en hiver les gens ne font plus d’allées et venues au milieu de la nuit et rentrent se calfeutrer dès le crépuscule. C’est pas une idée lumineuse, ça ?</p>
<p>C’est décidé, demain j’en parle d’abord à Henri, façon de silencer un peu là-dessus pour avoir son avis, et puis nous en causons à Gaston, histoire de l’envoyer ensuite présenter l’affaire à la patronne, parce qu’il le fera bien mieux que nous, avec des chiffres et des tableaux pour faire plus sérieux. Comment pourrait-elle refuser ? Je vois déjà les étincelles dans les yeux d’Adèle, et le sourire qui revient dans ceux de Dame Jeanne, et cette simple idée, ajoutée évidemment à la promesse de tous ces grogs, me fait chaud au cœur.</p>
<p>Il ne sera pas dit, mon Lulu, que tu n’auras pas tout fait pour la conserver, cette petite famille, parce que tu ne veux pas la quitter et que l’approche de la fin de la saison t’angoisse terriblement, par le vide qu’elle signifiera, par la fin de cette aventure extraordinaire, par la perte de ces relations chaleureuses qui ont pris tellement d’importance dans ta vie. Tu peux être fier de toi, et tu mérites bien un petit godet, voyons maintenant ce que les enfants en pensent.</p>
<p>Il neigera bientôt sur cette auberge, parole de Lulu, tenez-vous bien, ça va glisser !</p>À mi cheminurn:md5:569ea97da8eb674d388b7a6bb5c5276b2020-08-03T10:39:00+02:002020-10-04T13:22:47+02:00lucien-durand<p>Arrivé au milieu de la saison, Lucien est débordé et fait un bilan pour préparer l’après, quand il n’aura plus jamais besoin de travailler.</p> <p>J’en suis au milieu de la saison, et il me reste encore six semaines à tirer ou six semaines de moins à faire, c’est selon comme dirait mon cousin Dédé, celui du midi dont je vous ai déjà parlé je crois, et si je n’en ai pas encore parlé il faudra que je le fasse un de ces jours. Cette question de verre à moitié plein ou à moitié vide, je ne me la pose pas souvent parce que les verres je les préfère nettement quand ils sont pleins, et comme je suis d’un naturel plutôt optimiste je m’efforce de les garder toujours ainsi. Et puis un verre à moitié plein c’est facile à gérer, on peut le recharger indéfiniment, alors qu’un verre à moitié vide il faut malheureusement le finir sans trop savoir si on aura le temps ou les munitions pour le remplir à nouveau. C’est terriblement déroutant.</p>
<p>Bref, les verres sont à moitié pleins <em>ad vitam æternam</em> pour toi mon Lulu, c’est très bien ainsi, et si je n’arrive pas forcément à bien l’expliquer, je me comprends tout de même, ce qui est l’essentiel. Si en revanche vous, mes hypothétiques lecteurs, ne comprenez pas tout dans mon argument, servez-vous un petit verre, et reprenez ce premier paragraphe depuis le début autant de fois qu’il le faudra, sans oublier de remplir votre verre à chaque itération bien entendu, jusqu’à ce que vous conveniez avec moi que c’est bien la meilleure philosophie dans la vie. Vous y êtes maintenant ? Si ça tourne un peu ne vous inquiétez pas, c’est normal, vous vous y ferez, et revenons à nos moutons, la suite sera plus facile à comprendre, même avec un petit coup dans l’aile.</p>
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<p>Si je n’ai pas écrit dans ce petit blog depuis au moins quinze jours c’est que j’ai été très occupé. Par le travail d’abord, qui me demande une grande disponibilité et une abnégation de tous les instants pour ne pas remplir ce sacré verre trop souvent, histoire d’être en mesure de veiller sur le sommeil de mes clients. Surtout que nous avons été bien bousculés récemment avec l’état de santé de Jeanne, qui nous faisait une version discrète du <em>burn-out</em> qui a malheureusement emporté Denis, le manager fou que je n’ai presque jamais vu tant il passait de temps à faire des calculs, enfermé dans sa chambre. Pas une grande perte en ce qui me concerne, le type ne m’a pas une seule fois proposé de partager une bouteille en un mois, c’est dire comme il était peu qualifié pour diriger du personnel.</p>
<p>Notre petite Jeanne, donc, qu’il a fallu soutenir afin de finir la saison avec une capitaine encore aux commandes plutôt que de laisser l’auberge comme un bateau ivre perdu dans l’océan de cet été sans fin. Après de longues palabres avec Henri et Gaston, nous avons fini par lui proposer de nous occuper de tout ce qui était possible pour lui permettre de se reposer un peu. Enfin, Henri et moi avons surtout <em>silencé</em> ensemble, car nous nous comprenons mieux ainsi, et allègrement refilé le bébé à Gaston, bien plus doué que nous pour la négociation. Tout cela a fini par porter ses fruits, et nous avons embauché les jumelles de Gaston pour aider partout où elles le pouvaient, et elles ont assuré le service à table et quelques heures à l’accueil comme des professionnelles, ou presque aux dires des clients qui semblent bien s’en amuser. C’est étrange, je dis <em>“nous avons embauché</em>” comme si j’étais partie prenante dans la gestion de cet établissement, et c’est bien ce que j’ai fait pourtant, prendre parti pour Jeanne. Cette auberge a ceci d’étonnant qu’elle me fait me sentir comme dans une famille, prenant fait et cause pour le moindre souci d’un de ses petits, ce qui n’est pas dans mes habitudes, moi qui cultive mon indépendance et ma solitude depuis si longtemps. Mais je m’y suis fait, et c’est bougrement agréable cette chaleur humaine et ces attentions. Je suis bien content d’avoir découvert ça à soixante-cinq balais.</p>
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<p>Et puis il n’y a pas eu que le travail, car j’ai enfin réussi à me concentrer sur la préparation de ma retraite. Pas de ce que j’allais en faire, de tout ce temps qui me sera offert, et que je vous raconterai une autre fois, non, pas de comment j’allais en profiter, mais plus bêtement comment obtenir le <em>droit</em> d’en bénéficier. Et c’est un travail monstrueux que de réunir tous ces certificats et feuilles de paye, et de vérifier que l’administration n’a rien oublié de ma carrière. Il m’a donc fallu, plusieurs nuits durant, occuper le salon avec des montagnes de photocopies à classer, au point que j’en ai presque oublié d’aller voir mes renards. Je n’ai quand même pas oublié de les nourrir, mais je les ai un peu négligés et j’espère qu’ils ne m’en voudront pas de ne pas avoir assisté à leurs repas et à leurs jeux pendant quelques jours. Ça devrait aller mieux maintenant que j’en ai terminé avec ce dossier de toute une vie.</p>
<p>C’est incroyable mon Lulu le travail que ça demande de se préparer à ne plus travailler !</p>Vie de familleurn:md5:7fab7f29c7dc61d772f263973a550dc42020-07-22T05:05:00+02:002020-10-04T13:18:35+02:00lucien-durand<p>Après un passage à vide, Lucien se sent de mieux en mieux à l’auberge, qu’il voit comme une grande maison familiale.</p>
<p><em>Avec : Anna Fox, Gaston, Henri, Jeanne Lalochère, Adèle, Lou et Charlie, Ann-Kathrin von Aalders, Akikazi Takenaka, Alexeï Dolgoroukov et le Comte Romanov, Paul Dindon, Éric Javot, Janette la cuisinière, et les renards et renardeaux</em></p> <p>Les pensées noires et inquiétantes m’ont finalement laissé en paix, et moi qui ressassais des idioties depuis une bonne quinzaine, je me retrouve presque en manque d’angoisse maintenant, dopé au pessimisme comme je l’étais. Où étais-je allé chercher tout ça ? Aujourd’hui, ça va beaucoup mieux, je me sens plus attentif et réceptif à tout ce qui m’entoure, peut-être est-ce dû à quelques événements survenus à l’auberge, qui en se produisant ont dynamité ma routine, routine qui me laissait trop de temps libre pour gamberger outre mesure et m’apitoyer sur mon sort. Quoi qu’il en soit, depuis que je me suis fait un peu bousculer dans mes habitudes, ça va bien mieux.</p>
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<p>Mardi soir, c’est l’homme de cinéma, M. Javot, qui s’est pointé en trombe à l’accueil, de retour du bal du 14 juillet où étaient allés en masse la plupart des pensionnaires et même du personnel. Il est arrivé comme un chiot dans un jeu de quilles, le Javot, il a posé sur le comptoir trois mètres de saucisse à cuire et deux bouteilles de vin, et il s’est enfui illico vers sa chambre. Il est marrant, ce M. Javot, on a toujours l’impression qu’il est en train de cadrer une scène et de se jouer des dialogues dans la tête, et il répond quelquefois en retard, comme s’il avait pris le temps de jouer plusieurs scénarios avant de se décider. Là il n’avait pas prévu de répartie. Je n’ai pas eu le temps de le remercier. J’ai mis les deux bouteilles de côté en cas d’urgence, mais j’espère ne pas avoir à y recourir, c’est du brutal de la Communauté Européenne, juste bon à nettoyer les éviers en inox ou à la rigueur un dentier. En revanche, pour la saucisse, j’ai vraiment apprécié l’attention, me demandant déjà, au vu de la taille du bout de barbaque, comment organiser un repas avec les collègues pour la partager dignement.</p>
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<p>Mercredi c’est l’ami Gaston qui m’a rendu visite, accompagné mine de rien par Mademoiselle Fox, une mystérieuse rouquine qui est ici depuis un bout de temps. Je dis mine de rien pour le Gaston parce que j’ai bien vu qu’il essayait de dissimuler, pas forcément à moi, l’intérêt extraordinaire qu’il lui portait à la rouquine. Sacré Gaston, il en avait presque la langue qui pendait hors de la bouche tellement il la dévorait des yeux, comme un loup devant une brebis. Mais j’ai vu par la suite qu’elle n’était pas une brebis, plutôt une louve ou une renarde, de ces animaux prédateurs qui n’ont pas besoin d’en imposer pour se faire respecter. Bref, j’étais peinard en train de nourrir ma petite famille quand je les ai entendus s’approcher. Ils se tenaient la main, ai-je remarqué tout de suite, et devaient être cachés dans le noir depuis un moment à m’observer. J’ai remarqué d’ailleurs que d’autres clients nous observent au fil des nuits, les renards et moi, depuis le balcon de leur chambre. Je sens leurs yeux sur nous, leur souffle qui s’arrête quand les renards apparaissent, et j’entends les portes qui se ferment doucement à la fin de la représentation. Ils se sont assis près de moi, les deux tourtereaux, et Gaston nous a présentés, et il a continué sur son invitation à venir dîner chez lui vendredi. Pendant ce bavardage, nous regardions les renardeaux qui se disputaient des morceaux de viande. Et là tout d’un coup l’un d’eux, le plus dégourdi, est venu près de nous. C’était bien la première fois qu’un de ces petits diables s’approchait autant de moi, j’en étais si fier de ce petiot que j’avais vu grandir et s’enhardir depuis quinze jours qu’il était apparu. Et puis il m’a un peu déçu, le salopiaud, parce qu’au lieu de venir se blottir dans les bras de tonton Lulu, comme j’avais rêvé qu’il le ferait, il s’est dirigé directement vers la demoiselle Fox et lui a mordillé le bas du pantalon, comme pour l’inviter à le suivre. Ce qu’elle a fait le plus naturellement du monde, nous laissant, le Gars Gaston et moi, comme deux cons avec leurs culs posés dans les graviers et les yeux écarquillés comme Biguelune, un personnage dont il faudra que je vous parle. Je ne lui en veux pas à la demoiselle, elle l’a fait si naturellement de me voler mon renardeau que ça semblait un emprunt, mais j’espère qu’elle ne partira pas avec mes petits tout de suite, qu’elle me laissera en profiter encore un peu. Je sais bien qu’ils seront protégés avec elle, mais j’aimerais tant les garder jusqu’à la fin de l’été.</p>
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<p>Jeudi soir, un esclandre dans la chambre 4 a bien failli briser, et l’a d’ailleurs fait pour les voisins les plus immédiats, la quiétude de toute l’auberge, et il a fallu que j’intervienne. Dans ces cas-là, hélas pas si rares dans un établissement qui reçoit du public la nuit, il faut toujours créer un effet de surprise avant d’aller voir ce qu’il se passe. C’est un conseil que m’avait donné un vieux de la vieille quand je débutais encore : “<em>Ne t’interpose jamais, mon Lulu, quand deux clients se foutent sur la gueule, parce qu’ils te sauteront tous les deux sur le poil si tu viens à passer entre eux. Arrange-toi pour les surprendre par un évènement imprévu, puis arrive innocemment comme si tu ne t’occupais pas de leurs affaires.</em>” Exclue donc la possibilité d’aller taper à la porte, ça les énerve car ils prennent cette simple intervention pour un reproche, une intrusion. Il faut donc créer le fameux effet de surprise pour détourner leur attention de leur différend, et il n’y a pas cinquante moyens d’y parvenir : c’est l’alarme incendie ou l’extinction des feux. L’alarme incendie est réservée aux cas graves, quand les protagonistes en sont venus aux coups, avec ou sans intervention des voisins des chambres alentour. Là il faut les séparer, et rien de tel qu’une bonne peur panique pour y parvenir, ça rabiboche tout le monde. Ce soir-là toutefois, c’était juste en train de monter, et les entendant depuis mon poste à l’accueil, je me suis levé pour passer la tête dans l’escalier et essayer de localiser l’origine des cris. J’ai vite reconnu la voix de poissonnière marseillaise de la petite Natou, dont je connais le diminutif car elle s’est fait beaucoup d’amis ici qui l’appellent ainsi. Et j’ai deviné que la grosse voix était celle de son bonhomme, le grand pas tibulaire comme elle le dirait, la Natou. J’ai donc coupé le jus dans tout l’étage, me préparant à aller faire semblant de fouiller le placard technique du premier comme je le fais toujours dans ce genre de situation. Mais il n’y en a même pas eu besoin : d’autres clients s’en étaient mêlés, les gars de la 3 et de la 6 je crois, habilement d’ailleurs car le grand type est sorti de l’auberge en ronchonnant, ça a discuté brièvement à voix basse pendant que je rétablissais les lumières, et les deux héros du soir, dont un encore en calbute, sont descendus à l’accueil pour se remettre de leurs émotions et se féliciter mutuellement. Je leur ai payé un coup, on a bavardé, et j’ai découvert que l’un d’eux connaissait aussi mes astuces pour séparer les clients, vu qu’il est serveur dans un troquet parisien. Un homme du métier, ça se respecte, on s’en remet une petite ?</p>
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<p>Vendredi, c’était le repas chez Gaston, où je suis allé en compagnie de Dame Jeanne et de la petite Adèle. Je devais les ramener avec le combi, mais elle ne m’a pas laissé conduire pour le retour, va savoir pourquoi.</p>
<p>Que dire de la soirée si ce n’est que j’étais en famille, en confiance, comme je ne l’avais pas été depuis mon enfance. Je ne sais pas comment Gaston s’est débrouillé pour organiser cette soirée mais tout y était : la chaleur, l’amitié, la franche rigolade, les amours en filigrane, la bienveillance de toute cette petite tribu réunie autour d’un repas, avec simplicité. Avec Henri et Adèle, on a un peu fait tapisserie, entre notre Gaston avec Anna et Dame Jeanne avec Marco d’un côté, et de l’autre les deux grandes filles qui semblent s’entendre bien plus que de simples amies, mais on a participé à cette petite fête à notre mesure, et c’est avec regret que je suis revenu prendre mon service à l’auberge.</p>
<p>Il m’a d’ailleurs fallu remercier la cuisinière qui m’avait remplacé, et pris d’inspiration je lui ai claqué une bise sonore sur la joue, bise qu’elle n’a pas vue venir et qui l’a laissée interdite et à moitié indignée. Il faut dire que nous avons eu une histoire tous les deux, où elle m’a fichu la honte, et que je ne fais habituellement pas le malin quand elle est là. Ce coup-ci pourtant, je pense l’avoir remise dans ma poche, ou en tout cas elle m’a laissé le croire, et vu la facilité de la victoire je doute maintenant que c’en était vraiment une.</p>
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<p>Samedi, c’est juste un client un peu fou qui a fait mon bout de soirée, se promenant à moitié à poil sous la lune et essayant de poursuivre mes renards. J’ai bien vu qu’il était trop âgé et trop bourré pour y parvenir, et je ne m’en suis pas inquiété, mais à son accent russe j’ai reconnu le client dont tout le monde parle : le fameux Comte Romanov qui a déjà planté des scandales au restaurant. Et comme tout le monde en avait parlé je savais qu’il y avait son domestique dans sa chambre. J’ai donc réveillé le pauvre bougre pour qu’il ramène son employeur à bon port. Appelez ça de la solidarité entre ivrognes, mais je n’ai pu me fâcher avec le vieux monsieur.</p>
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<p>Dimanche, ce sont deux nouveaux tourtereaux que j’ai repérés : le japonais et l’autrichienne. Pour le japonais, je ne suis pas certain qu’il en soit un, en tout cas il n’en a pas le physique, mais avec un nom et des manières pareils il pourrait bien en être, au moins adopté. Il se déplace en tout cas avec beaucoup de grâce et de sûreté, qui me font penser à un adepte des arts martiaux ou d’une philosophie orientale. Je reconnais avoir beaucoup d’imagination. L’autrichienne quant à elle, c’est la Gräfin von Ersterbach, Gräfin ça doit vouloir dire comtesse ou patronne en chef, c’est selon, comme dirait Dédé mon cousin du midi, en tout cas elle sait se faire obéir sans élever la voix, privilège des aristocrates. Toujours est-il que je les ai remarqués tapis sur le balcon de la 5 quand je suis sorti voir mes renards, et qu’ils sont restés immobiles mais pas silencieux. C’est fou ce que des murmures portent loin dans la nuit, je les ai écoutés commenter le spectacle. Puis ils se sont retirés dans la chambre, mais ils n’avaient pas fermé la porte-fenêtre et j’ai dû rentrer dans l’auberge pour ne plus surprendre involontairement leurs rires et leurs soupirs. Du peu que j’en ai entendu, ils s’amusaient bien, nos touristes.</p>
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<p>Et puis Lundi j’ai repensé à toute cette semaine écoulée, et je me suis dit que j’avais bien de la chance : des amis à chérir, une maison et des clients à protéger, des amours qui se nouent et se dénouent devant moi, des petits qui grandissent, tout cela m’a fait comprendre que j’étais au cœur d’une grande famille, une famille renouvelée sans cesse avec des départs quelquefois déchirants, des retours et des arrivées enthousiastes, une sorte de famille dont le foyer commun est une toute petite auberge perdue au milieu des lacs et des bois, et qui réunit ses membres éparpillés à la faveur d’un été. Certains viennent s’y retrouver après avoir failli se perdre, d’autres s’y reposer un instant avant de reprendre leur vol, d’autres cherchent une âme proche, et tous s’y rencontrent et échangent et vivent intensément, dans cette maison familiale d’où personne ne partira sans un grand soupir.</p>
<p>Je ne sais pas pour tous les autres, mon Lulu, mais cela te fendrait maintenant le cœur s’il te fallait la quitter, cette famille.</p>La routineurn:md5:6a9b99c9e42e9f47845d7ed16a2db4ff2020-07-14T12:00:00+02:002020-10-04T13:08:52+02:00lucien-durand<p>Lucien s’installe dans la routine à l’approche de la fin de ce premier mois à l’auberge. Il se pose toutefois de plus en plus de questions.</p> <p>C’est étonnant mon Lulu comme il ne m’a fallu qu’un mois pour me constituer un ensemble de petits tics, d’horaires et d’habitudes, je suis maintenant réglé comme une horloge, gardant la nuit d’une auberge bien calme, presque trop calme. De l’accueil à la cuisine, en passant par le salon, les toilettes, la salle de restaurant ou la véranda, je connais toutes ces pièces en détail, à force de les parcourir dans l’obscurité. Je connais même le nombre de pas qu’il faut faire pour aller d’un endroit à l’autre. D’accord, je me suis lamentablement vautré dans la plonge l’autre soir où j’ai voulu rejoindre l’accueil les yeux fermés, mais j’avais été distrait par une pensée ridicule, c’est tout.</p>
<p><em>(Il y a cette histoire de personnages qui me trotte toujours dans la tête, celle où je suis une marionnette manipulée par son auteur.)</em></p>
<p>Je connais moins bien les étages, où je ne vais que contraint par les petites tracasseries avec les clients, comme changer une ampoule, apporter du linge supplémentaire ou débloquer une porte ou une fenêtre. C’est que ça fait haut un étage, de nos jours, et pas question de prendre l’ascenseur, on ne sait jamais, le veilleur de nuit coincé dans sa boîte jusqu’au matin, mort de soif certainement et découvert par la patronne, non merci. Alors je n’y vais qu’une fois par nuit, dans les étages, histoire de pouvoir dire que tout était calme quand je suis passé. Jusqu’à aujourd’hui en tout cas, tout a toujours été calme.</p>
<p><em>(Je me demande qui peut bien être mon marionnettiste, et surtout pourquoi il écrit ma vie et ce qu’il veut faire de moi. S’amuse-t-il ? Est-ce son travail ? Je voudrais bien, si je peux intercéder en ma faveur, qu’il soit un peu comme moi, pour m’assurer qu’il ne prendra pas de mauvaise décision me concernant)</em></p>
<p>Niveau lectures, j’en suis à <em>Endymion</em>, le troisième tome du cycle d’<em>Hypérion</em>. J’ai maintenant un bon rythme de croisière, dans les deux cents pages par jour, et je pense reprendre Zola par la suite, à moins que je ne mette la main, dans la bibliothèque de l’auberge, sur quelque pépite à découvrir.</p>
<p><em>(Hier soir en arrivant au boulot, alors que toute l’auberge se rassemblait pour sortir et participer à la retraite aux flambeaux, j’ai surpris une conversation à voix basse entre deux clientes, il y était question de ce que chacune devrait dire, comme si elles se mettaient d’accord sur la scène qu’elles joueraient. Elles ont remarqué que je les écoutais et m’ont regardé bizarrement, comme si j’avais commis un impair, comme si je ne connaissais pas une règle admise par tous.)</em></p>
<p>Mon renard s’est avéré ne pas être tout seul dans la vie. Ce pourrait même être une renarde. Je dis ça, mon Lulu, mais je n’ai pas de moyen de le savoir, je dis ça parce que sont apparus quatre petits renardeaux il y a quelques jours, et que j’associe bêtement les petits à une femelle. Si ça se trouve mon renard est un renard, qui simplement promène ses petits à cette heure de la nuit, et leur enseigne où trouver une bonne gamelle et comment s’en approcher sans risques. Je ne suis pas très calé en sexe des renards. N’empêche que l’un des petits me semble plus déluré que les autres. Quand ses frères ou sœurs rampent encore, apeurés et geignant, il court et rebondit autour d’eux et s’aventure hors des traces pour fourrager dans les buissons. Tant d’enthousiasme me ravit, je vais surveiller ce renardeau, ou cette renardelle si ce mot existe, et s’il n’existe pas je viens de l’inventer, et je l’offre à qui en veut.</p>
<p><em>(Dans le personnel, deux marionnettes ont disparu, Léandre et Denis, et ont été remplacées par deux autres : Lisa, la petite serveuse, et Madame Danchin, au ménage. Je les vois peu. Les autres continuent leur jeu comme si de rien n’était. Mais Lulu se méfie. Pas des personnages, qui sont tous de bonne compagnie, mais de leurs auteurs, qui sont capables de m’inventer des complications dont je n’ai pas besoin. Inventer des complications, c’est une des grandes expressions de mon cousin Dédé. Je vous en ai parlé du cousin Dédé, je crois)</em></p>
<p>J’ai commencé à remplir mon dossier de demande de retraite. Si je tenais l’énarque aviné qui a pondu ces procédures en ligne, je lui ferais passer un mauvais quart d’heure, tiens, je lui ferais remplir son propre dossier ! Il faut trois ou quatre fenêtres de navigateur ouvertes, une flopée de mots de passe, un scanner et un grand bureau pour trier et ranger des montagnes de paperasse. Le bureau de ministre à l’accueil est bien utile, je n’aurais pas pu faire ça chez Madame Grolleix. Et pour couronner le tout, les différents sites pour s’inscrire se renvoient les uns aux autres au gré des caprices d’un programmeur fou ou drogué, si bien que je ne sais toujours pas si j’ai terminé de remplir ce fichu machin. Il me faudra sans doute consulter les douze trillions de mails que ma démarche a générés.</p>
<p><em>(Avec mon auteur, enfin s’il est d’accord, et naturellement s’il existe et s’il m’entend, ce qui fait pas mal de conditions je le concède, j’ai décidé d’opérer de grands changements. À partir de dorénavant et jusqu’à désormais inclus, c’est une autre expression du cousin, on se dit tout. Enfin je lui dis tout à mon auteur, et je le guide pour imaginer une suite de mon histoire qui me convienne. S’il est d’accord. Si je l’ai bien choisi.)</em></p>
<p>Pas d’échanges de bottes en vue, je suis paré pour affronter cette saison avec autant de munitions qu’il est possible. Faudra quand même prendre quelques bibines, des fois qu’un ami se pointe. La routine, mon Lulu, ça repose, et on a le temps de gamberger.</p>Et si tout cela n'était qu'un jeu ?urn:md5:63b0dbd1357f0b4acd42fac47b9345f32020-07-08T06:06:00+02:002020-10-04T13:04:13+02:00lucien-durand<p>Lucien imagine que sa vie et celle de tous les autres n’est qu’un spectacle, orchestré par des marionnettistes invisibles.</p>
<p><em>Avec : tout le personnel et tous les clients</em></p> <figure style="margin: 0 auto; display: table;"><img alt="Les marionnettes, juil. 2020" class="media" src="https://lulu.dissitou.org/blog/public/photos-posts/1024px-Marionnettes.jpg" height="768" width="1024" />
<figcaption>Les marionnettes - <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Le_chat_bott%C3%A9_marionnette.jpg" title="via Wikimedia Commons">Fauconnier001</a> / <a href="https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0">CC BY-SA</a></figcaption>
</figure>
<p>Cette nuit, j’avais peut-être un peu forcé sur la bibine, je le confesse, et pourtant ce n’est pas par manque d’habitude ! Mon Lulu, tu connais ta dose, et tu sais bien que quelquefois il vaut mieux éviter l’avant-dernier verre, pour ne pas avoir la tentation de boire le dernier, celui qui te rend idiot au point de baver sur ta chemise en déblatérant des stupidités, ou qui te fait voir des choses incroyables comme des éléphants roses, rarement, des araignées velues qui te grimpent dans le pantalon, souvent, ou des fantômes du passé qui reviennent se venger en te collant une frousse de tous les diables, presque à tous les coups. En tout cas, j’en tenais une bonne, et avec le peu de conscience qu’il me restait, j’ai prié pour que cela me passe avant l’arrivée de la patronne à sept heures du matin, il ne s’agirait pas de l’inquiéter sur la sécurité des résidents pendant ma garde de nuit. Allez, on se réveille, on se passe un bon coup d’eau froide sur la tête dans le bac de la plonge, on se lave les dents et on prend un bon café, dans deux heures il n’y paraîtra plus, et ton honneur sera peut-être sauvé, me suis-je dit.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, de ce reste d’honneur et d’estime, il m’est quand même venu une drôle d’idée dans la caboche, et à bien y réfléchir, en dessoûlant lentement avec les premières lueurs de l’aube, vautré dans le fauteuil de ministre à la réception, je ne sais toujours pas dire si c’était une idée farfelue que j’ai eue là, qui me fera bien rire quand j’y repenserai dans la journée, ou une révélation existentielle, de celles qui te laissent tellement songeur que tu ne peux y croire vraiment, et en même temps qui te reviennent à l’esprit avec insistance, refusant de t’abandonner par leur terrible puissance.</p>
<p>Si c’était une révélation, en tout cas, elle était particulièrement profonde et inquiétante, et si ce n’était qu’une hallucination, elle aura eu le mérite de me secouer suffisamment pour prendre la décision de lever le pied sérieusement, au moins pour quelques jours. Promesse d’ivrogne, dirait le cousin Dédé.</p>
<p>Alors je vous la livre, ma révélation, vous mes lecteurs qui n’existez peut-être pas, ou qui me lirez dans bien longtemps, si ce blog est découvert par quelque miracle archéologique et révélé au grand jour, malgré toutes mes précautions pour qu’il reste secret.</p>
<p>Toute révélation commence par ces mots : <strong>Et si…</strong></p>
<p><strong>Et si</strong> tu n’étais mon Lulu qu’un <em>personnage</em>, un personnage animé par un marionnettiste à tes yeux invisible qui décide de ta vie et qui a construit ton passé, ou plutôt qui l’a inventé de toutes pièces, comme un metteur en scène qui à chaque acte de ta vie a prévu d’en construire une petite partie ? Une sorte d’auteur qui aurait décidé de te nommer ainsi, de te faire penser ceci ou agir comme cela. Et qui s’en amuserait à tes dépens, pour son propre public que tu ne verrais jamais. Car enfin, comment expliquer que tu aurais lu sept romans de Zola en moins de quinze jours, deux tomes de la saga d’<em>Hypérion</em> en à peine quarante-huit heures, des bouquins de presque six cents pages tout de même ? Comment expliquer que tes souvenirs comportent autant de trous, d’un vide sidéral, et que ces trous soient miraculeusement comblés par des péripéties sorties d’un invraisemblable chapeau, au fil de tes histoires racontées sur un blog que tu aurais installé et configuré, toi un vieux bonhomme de presque soixante-cinq balais qui sait à grand peine manipuler une souris, et qui serait encore plus en peine de seulement comprendre comment fonctionne un serveur informatique dans les nuages ?</p>
<p><strong>Et si</strong>, poussant plus loin ce raisonnement, le personnel de cette auberge ne constituait qu’une collection d’autres personnages, chacun manipulé par son auteur s’amusant à les créer, les faire vivre et les abandonnant à la fin de la saison, une fois leur rôle terminé ? Madame Lalochère, Gaston et Henri, Lisa la petite serveuse, Janette la cuisinière, Léandre l’homme de chambre, Denis le manager, l’espiègle petite Adèle, Madame Danchin qui vient d’arriver, et tous les autres qui apparaissent et parfois disparaissent dans cette comédie humaine fantastiquement complexe au fond des montagnes du Jura.</p>
<p><strong>Et si</strong> les clients mêmes de cette auberge n’étaient que des acteurs, tous principaux au demeurant, de cette invention abracadabrantesque mise en place par un grand manipulateur, ou une grande manipulatrice, pour distraire la galerie d’un public complice, découvrant avec délices les tenants et aboutissants d’une intrigue ou plutôt d’un écheveau d’intrigues toutes plus amusantes, tendres ou tragiques les unes que les autres ?</p>
<p><strong>Et si</strong> ce renard que tu nourris et tentes d’apprivoiser n’était rien d’autre qu’un <em>accessoire de théâtre</em>, posé là pour servir une toute petite partie d’une plus grande histoire, tout comme les poissons du lac amenés là pour une opportune partie de pêche ? Et si le monde entier qui nous entoure, l’auberge, Pollox, les bois et les forêts, le Snurk, n’existaient que pour poser le décor de cette pièce et lui donner de la consistance ?</p>
<p><strong>Et si…</strong></p>
<hr />
<p>Mon pauvre Lucien, tu as bien fait de ne pas le boire, ce dernier verre, parce que tu aurais été capable alors d’inventer quelque chose d’encore plus terrifiant, si tant est qu’il y ait plus terrifiant que de ne pas exister, plus terrifiant que d’envisager la fin inéluctable de ce jeu, parce qu’il faudrait bien qu’une fois la représentation terminée les lumières s’éteignent, le rideau tombe, il faudrait bien que ces personnages retournent au néant, ou dans les souvenirs de leurs auteurs et de leurs spectateurs qui se seraient amusés, le temps d’un été, avec ta vie et celles de tes compagnons d’infortune.</p>
<p>Le jour va se lever. Fondu au noir. Rideau. Salut des comédiens. Applaudissements. Lumières dans la salle.</p>
<p>Ce n’était qu’un rêve mon Lulu, bienvenue à nouveau dans la réalité.</p>Hypérionurn:md5:be8c42fff732789aa873a35c16895d5f2020-07-05T05:05:00+02:002020-10-04T13:01:49+02:00lucien-durand<p>Lucien apprécie aussi la science-fiction, et a découvert un roman qui lui rappelle l’amour de Mary pour John Keats</p>
<p><em>Avec : Gaston</em></p> <figure style="margin: 0 auto; display: table;"><img alt="Le gritche, juil. 2020" class="media" src="https://lulu.dissitou.org/blog/public/photos-posts/Shrike_time_tombs.svg.png" height="585" width="1024" />
<figcaption>Le gritche - <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Shrike_time_tombs.svg" title="via Wikimedia Commons">Nojhan</a> / <a href="https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0">CC BY-SA</a></figcaption>
</figure>
<p>Émile Zola et ses Rougon-Macquart, ça va un moment, mais il m’a paru nécessaire de faire une petite pause, au septième roman, l’<em>Assommoir</em>, parce que celui-là m’a fait réaliser que le gouffre n’est jamais bien loin quand on commence à boire, que ce soit pour supporter sa condition ou pour oublier des évènements que l’on ne parvient pourtant jamais à balayer sous le tapis des années. C’est un peu ma malédiction, ces souvenirs, et bien que ma situation ne ressemble en rien à celle de ces ouvriers, je me suis senti inexorablement un peu trop proche de ces pauvres héros et surtout de leurs pensées quand ils s’enfoncent dans la déchéance.</p>
<p>Changeons donc de lectures, mon Lulu, et voyons voir ce qu’ils ont à la bibliothèque du bourg, où je suis descendu hier après-midi avec la vieille deux-pattes que Madame Grolleix a bien voulu me prêter, qu’elle ne conduit plus depuis des années mais qui a été maintenue en parfait état de marche par l’ami Gaston, grand bricoleur devant l’éternel. Ami Gaston qui m’a rendu visite hier avec de splendides spécimens de la gastronomie du coin, charcuteries et fromages, qu’il a ramenés de sa visite à la <em>fruitière</em> de La Pesse. Délicate attention, il m’a même recommandé d’éviter d’en parler à Henri, mais je ne vais pas suivre ce conseil parce que je pense que ce n’est pas ce qu’il voulait vraiment dire, et que je préférerais partager au contraire avec cet Henri que je connais assez peu mais qui ferait j’en suis certain un bon copain. Ce serait une bonne entrée en matière que de couper et mâchonner ensemble quelques rondelles de ce magnifique saucisson, accompagné comme il se doit d’une lichette de blanc. Il faudra que je lui cause un peu plus, à cet Henri, s’il est ami de Gaston ce doit être un type bien. C’est marrant d’ailleurs, ce nom de <em>fruitière</em>, pour une fromagerie de village. Il paraît qu’il y en a plus de cent cinquante dans le département, où l’on fabrique et affine le comté, l’un de mes fromages préférés. Qui n’a jamais goûté, à Morteau, la saucisse du même nom en tranches alternées avec du comté, ne connaît pas le Jura. Il paraît même que les gens du coin achètent une meule entière, de quarante kilos quand même, et viennent régulièrement en chercher un morceau, ou plutôt une part à différents degrés d’affinage, qui sera déduite du poids de leur propre meule, faudra que je me renseigne un peu plus sur ce procédé. Je demanderai à Gaston, ou Henri, ce sera selon, comme dirait le cousin Dédé.</p>
<hr />
<p>Bref, c’est là, dans cette bibliothèque étonnamment fournie pour une si petite ville, c’est là que j’ai trouvé un roman dont le titre me rappelait quelque chose. Mais quoi ? Mon Lulu, fais un effort, où as-tu entendu ou lu ce mot ? <em>Hypérion</em>. Dans un livre, un film, un poème ? Et puis tout d’un coup, au mot poème, ce titre m’est revenu dans la gueule, ce titre terrible qui a fait remonter douloureusement un énorme morceau de mon passé en me prenant à la gorge par surprise.</p>
<p>Avec Mary, j’avais découvert quelques poètes et écrivains anglais, et principalement celui qui faisait l’objet de cette thèse qu’elle n’avait jamais eu le temps de terminer, rapport à cet accident terriblement injuste qui me l’avait enlevée et que je crois avoir raconté ici, mais ça se mélange tellement dans ma tête quand je pense à elle que je ne suis pas sûr d’avoir raconté la bonne histoire, dont j’ai <a href="https://auberge.des-blogueurs.org/post/2020/06/27/et-si-lucien-vous-avait-menti" hreflang="fr" title="Et si Lucine vous avait menti ?">plusieurs</a> <a href="https://auberge.des-blogueurs.org/post/2020/06/25/loulou-darling" hreflang="fr" title="Loulou Darling">versions</a> qui se bousculent et se contredisent en partie.</p>
<p>Pauvre Mary, qui déclamait de drôles de poèmes de John Keats tous les soirs devant moi, m’expliquant la signification de tous ces mots et les caractères de tous ces personnages de légende qui m’étaient, pour beaucoup, auparavant inconnus. Je dois avouer que j’avais un peu de mal avec cette poésie qui ne rimait pas, mais je l’écoutais avec recueillement parce qu’elle savait si bien parler de cet auteur, au destin aussi tragique que le sien, quoique pour une cause différente, un brave petit gars mort à vingt-cinq ans. Mais ça, Mary ne pouvait pas le prévoir, qu’elle allait finir sa vie au même âge que son auteur préféré, celui qui demanda à son ami Joseph Severn de ne pas inscrire son nom sur sa tombe, mais seulement cette phrase :</p>
<blockquote>
<p><strong><span class="ILfuVd"><span class="e24Kjd">Here lies one whose name was writ in water</span></span></strong></p>
<p><em><span class="ILfuVd"><span class="e24Kjd">(</span></span>Ci-gît celui dont le nom fut écrit dans l’eau)</em></p>
</blockquote>
<hr />
<p><em>Hypérion</em>. Pas celui de Keats, que Mary connaissait si bien, écrit au dix-neuvième siècle et racontant la défaite des Titans, remplacés par des dieux de l’Olympe dont on a mieux retenu le nom. Non, l’<em>Hypérion</em> de Dan Simmons est une autre histoire, de science-fiction, une sorte de space opéra où sept pèlerins du culte du <em>gritche</em> racontent chacun à son tour ce qui les a conduits sur une planète unique dans l’univers pour rencontrer le monstre, qui pour le combattre, qui pour l’adorer, qui pour en obtenir une sorte d’absolution. Le poète Martin Silennius, auteur des <i>Cantos d’Hypérion</i>, poète maudit de plus de deux cents ans et alcoolique notoire, y joue un rôle qui me parle assez bien, allez savoir pourquoi. Mais s’il n’est pas celui de Keats, cet <em>Hypérion</em> est tout de même truffé de références au poète, et plus encore sa suite, <em>Endymion</em>, d’après la bibliothécaire bien sympathique qui a bien vu que je pleurais en lui tendant le livre<em> </em>pour qu’elle l’enregistre sur mon compte, et qui m’en a parlé brièvement avec un petit tremblement dans la voix.</p>
<p>Et c’est ainsi que, au milieu de mes nombreuses et harassantes obligations professionnelles, je me suis plongé dans cette œuvre magnifique, rappelé douloureusement à chaque début de chapitre, par une citation de Keats, au souvenir de Mary.</p>Le côté vert de l'épongeurn:md5:c37a4b6939461d9c1b67eb080065d3af2020-07-03T05:28:00+02:002020-10-04T12:56:21+02:00lucien-durand<p>Lucien n’est jamais avare de conseils avec les clients, et leur explique volontiers comment nettoyer une carrosserie souillée.</p>
<p><em>Avec : les clients, Éric Javot</em></p> <figure style="margin: 0 auto; display: table;"><img alt="Une belle voiture, juil. 2020" class="media" src="https://lulu.dissitou.org/blog/public/photos-posts/car-2755644_1280.jpg" height="856" width="1280" />
<figcaption>Une belle voiture - <a href="https://pixabay.com/fr/users/ivanlammerant-6280756/?utm_source=link-attribution&utm_medium=referral&utm_campaign=image&utm_content=2755644">Ivan Lammerant</a> de <a href="https://pixabay.com/fr/?utm_source=link-attribution&utm_medium=referral&utm_campaign=image&utm_content=2755644">Pixabay</a></figcaption>
</figure>
<p>Les parisiens, tous des fadas, comme dirait vous savez qui. Si vous ne savez pas, c’est que vous n’êtes pas très attentifs, et que je me décarcasse à écrire mes aventures et poser ici mes élucubrations avinées pour pas grand-chose, ce dont d’ailleurs je me doutais un peu, mais j’apprécierais quand même que mes hypothétiques lecteurs fassent un effort. C’est de mon cousin du midi que je parle, enfin ! Celui qui a imaginé l’astuce de <a href="https://auberge.des-blogueurs.org/post/2020/06/30/droit-dans-mes-bottes" hreflang="fr" title="Droit dans mes bottes">nos échanges de bottes</a>, et bien d’autres, celui qui a toujours une expression imagée à sortir à tout propos, à croire qu’il les invente au fil de l’eau, le bougre, ce dont je commence à être persuadé, tant nombreuses et variées elles sont. Une expression pittoresque par situation, c’est mon cousin Dédé.</p>
<p>Donc les parisiens. Tout d’abord, n’imaginez pas que j’aie un quelconque grief contre les parisiens en particulier, mon Lulu est né à Paris dans le onzième arrondissement, à la Maternité des Bluets, celle de la CGT qui fut la première à promouvoir l’accouchement sans douleur, pas la CGT hein, la maternité. Et j’ai habité la capitale un bout de temps avant de me lancer, au cours des saisons, à la découverte de la France. Et d’autres pays, mais je vous en parlerai une autre fois. Non, je n’ai rien contre les habitants de cette ville, et mes réflexions valent tout autant pour les lyonnais, les bordelais, les toulousains, les lillois, bref tous les habitants des grandes villes et de leurs périphéries. Pour les marseillais, c’est un peu différent car là c’est la ville d’origine des fadas, mais ce n’est pas le sujet. Admettons donc que les marseillais sont à mettre dans le même sac.</p>
<hr />
<p>D’abord il y a les queues : dès qu’il y en a une, le citadin s’y colle, persuadé que si elle existe, c’est qu’il y a quelque chose d’intéressant au bout, et qu’il n’y en aura pas pour tout le monde. Les queues et la foule, car les citadins se déplacent tous en même temps pour aller aux mêmes endroits. Si un lieu quelconque a un tant soit peu de succès touristique, au point de lui valoir un reportage à la télévision, vous pouvez parier que les citadins s’y précipiteront en masse. Et dans mes nombreuses années à faire des saisons dans des lieux souvent très touristiques, j’en ai rencontré beaucoup, des citadins, clients principaux des établissements qui leur permettent de venir goûter à ce qu’ils n’ont pas chez eux : de l’espace, ce qui reste relatif une fois qu’ils sont tous là, des milieux naturels, des paysages, et des habitants avec leurs nombreux accents amusants qui les regardent de haut mais veulent bien s’abaisser à leur prendre leurs économies, faut pas déconner non plus.</p>
<p>Ensuite il y a les bagnoles. Ah ! Les bagnoles, sans lesquelles un citadin ne serait pas tout à fait ce qu’il est. Il y a bien des bagnoles à la campagne ou dans les petites villes de province, mais elles n’ont pas la même utilité que dans les métropoles. Ce sont des véhicules, pour faire des trucs comme se déplacer ou transporter des objets. Mais pour un citadin, la bagnole c’est sacré, ça permet de faire la queue dans les bouchons toute l’année, et de partir en vacances dans les mêmes bouchons une fois l’an, avec les mêmes copains de galère. C’est aussi semble-t-il un objet de statut social, le type qui a une bagnole sale ou en mauvais état n’étant peut-être pas jugé digne de jouer dans l’embouteillage avec les autres, va savoir mon Lulu. En tout cas on l’évite comme la peste, et on le surveille au cas où il deviendrait fou et s’attaquerait aux autres modèles rutilants pour passer devant eux et gagner une place dans la course d’escargots qu’ils se livrent. On le laisse passer, d’ailleurs, mieux vaut être derrière un fou que devant.</p>
<hr />
<p>À l’auberge, il y a pas mal de citadins, et ils sont nombreux à poser la même question au moment de la réservation : est-ce qu’il y a un parking et est-ce qu’il est gardé ? est-ce que ça craint pour<em> ma bagnole</em> (ou <em>ma bécane</em> s’ils sont motocyclistes) ? Parce que la bagnole ne doit être ni rayée, ni emboutie, ni même poussiéreuse. Alors on s’en préoccupe à l’avance, on la bichonne avant le départ, et on la surveille pendant les vacances. Bien plus que les gosses d’ailleurs. J’ai eu un client sur la Côte d’Azur qui m’a fait changer sa réservation pour avoir vue sur le parking, pas sur la mer, enfin si sur la mer mais à l’angle de l’hôtel pour voir aussi le parking, afin de pouvoir surveiller son bébé au cas où des voyous viendraient tenter de s’en emparer, c’est dire !</p>
<p>À la réception de l’auberge, donc, mêmes questions à l’arrivée, questions auxquelles je réponds inévitablement que la bagnole peut dormir dehors toute seule, même dans le noir, que ce n’est pas un enfant et qu’elle n’aura pas peur. Réaction souvent outrée du client, qui ne sait si je suis un peu demeuré ou si je me moque de lui, alors que j’essaie seulement de le rassurer, moi, c’est mon boulot. Et puis s’il est inquiet, il viendra me faire suer la nuit avec ses angoisses, à sortir et rentrer à tout bout de champ, y compris à l’heure du casse-croûte en sonnant à la porte. Alors je le rassure, ou j’essaie.</p>
<p>Et aussi il y a les insectes, les bestioles, qui sont comme chacun sait les ennemis jurés des bagnoles. Les moustiques et moucherons écrasés sur la calandre et les phares, les guêpes qui viennent nicher sous les essuie-glaces, les araignées qui tissent leur toile entre le rétroviseur et la portière, les mouches qui chient sur le capot, les chenilles qui tombent des arbres et laissent leurs traces gluantes un peu partout. Bref tout ce qui fait des <em>taches</em> sur une carrosserie.</p>
<p>Alors j’ai une astuce pour répondre aux questions mille fois posées par mes clients, qui s’enquièrent régulièrement de la meilleure façon de nettoyer ces souillures</p>
<blockquote>
<p>- dites-moi Lucien, il y a pas mal d’insectes par ici, non ?</p>
<p>- oui, c’est la campagne, vous savez, et en été c’est assez normal</p>
<p>- ah oui, c’est magnifique la campagne, mais j’ai un petit problème, ce sont les taches que laissent toutes ces bestioles sur ma carrosserie</p>
<p>- oh, et vous voulez une astuce pour les enlever ?</p>
<p>- exactement Lucien, vous qui vous y connaissez, comment faites-vous ?</p>
<p>- avec une éponge</p>
<p>- oui, j’ai essayé, mais ça ne les décolle pas, même avec le produit à vaisselle…</p>
<p>- c’est normal, je parie que vous n’avez pas essayé avec le côté vert (hin hin) ?</p>
<p>- le côté…(gloups) vert ?</p>
<p>- oui ben le côté qui gratte, hein !</p>
</blockquote>
<p>Grand silence, où le gars réfléchit à la suite, se demande encore une fois si je suis parfaitement con ou bien ? et me regarde alors dans les yeux. Et là je lui renvoie mon regard le plus innocent du monde, avec un petit sourire satisfait, et je passe à autre chose, faisant semblant d’avoir résolu le problème et retournant à mon bouquin.</p>
<p>Dans l’hôtellerie, mon Lulu, il ne faut pas être avare de conseils, et après ce genre de dialogue on retrouve généralement la paix, et pour longtemps !</p>
<hr />
<p>Tiens, j’ai oublié de parler du client arrivé hier au soir en moto sous une averse, trempé il était, avec tous ses bagages, à me saloper le sol de la réception en laissant de grandes flaques, qu’il m’a fallu éponger ensuite, rapport à Dame Jeanne qui veut que tout soit nickel au petit matin. Mais il avait l’air si exténué que je n’ai pu le rembarrer, le pauvre, et je lui ai même offert un coup à boire, de ma réserve personnelle, pour le requinquer et l’aider à avaler son panier repas. On a discuté un brin, j’ai cru comprendre qu’il fait du cinéma mais je n’y connais rien et je ne l’ai pas reconnu, il avait l’air déçu mais c’était sans doute la fatigue. Et je l’ai même aidé à monter ses bagages.</p>
<p>Comme quoi je ne suis pas toujours aussi méchant que certains pourraient le croire.</p>Droit dans mes bottesurn:md5:e96b77652e581808e614fa43d7724d362020-06-30T05:35:00+02:002020-10-04T12:51:35+02:00lucien-durand<p>Lucien explique comment il se fournit auprès de son cousin du midi.</p>
<p><em>Avec : le cousin, June East</em></p> <figure style="margin: 0 auto; display: table;"><img alt="François Fillon, juin 2020" class="media" src="https://lulu.dissitou.org/blog/public/photos-posts/2016-10-19_16-19-17_fillon-belfort.jpg" height="682" width="1024" />
<figcaption>François Fillon - <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:2016-10-19_16-19-17_fillon-belfort.jpg" title="via Wikimedia Commons">Thomas Bresson</a> / <a href="https://creativecommons.org/licenses/by/4.0">CC BY</a></figcaption>
</figure>
<p>J’ai lu hier matin dans <a href="https://www.leprogres.fr/faits-divers-justice/2020/06/29/detournement-de-fonds-publics-les-epoux-fillon-reconnus-coupables" hreflang="fr" title="François Fillon">le Progrès</a>, chez Madame Grolleix, un article sur François Fillon, et je me suis souvenu que cet ancien premier sinistre avait une expression où il était question de ses bottes. Et cela m’a fait penser à une toute autre paire de bottes, dont je n’ai pas encore parlé ici.</p>
<p>Hier soir, j’ai eu de la visite, à l’heure de ma petite cigarette du soir, ou plutôt du milieu de la nuit, alors que j’observais mon renard que je continue à nourrir tous les jours avec les restes de l’auberge. Mon renard va bien, et s’apprivoise doucement en cela qu’il ne sursaute plus si je bouge une paupière. C’est un grand accomplissement, mais le renard n’est pas le sujet de mon histoire d’aujourd’hui. La visite non plus, mais j’en cause un peu parce que j’ai été ému par la demoiselle qui, sans rien dire, s’est assise près de moi. Je ne l’avais pas entendue venir, et j’ai bien vu qu’elle avait le bourdon. Alors je lui ai tendu ma clope, qu’elle a prise sans un mot. Et puis elle a posé sa tête sur mon épaule. Instant magique… je n’ai pu murmurer que deux paroles d’encouragement, la gorge serrée. Et puis elle est remontée dans sa chambre, je crois, envolée comme un papillon de nuit qui aurait juste effleuré ma joue.</p>
<p>Revenons à nos bottes. Certains se demanderont comment je fais pour m’approvisionner en herbe-qui-fait-rire, au fond des montagnes, bien loin des cités mal famées où l’on trouve généralement ce genre de produits. Est-ce une connexion jurassienne ? Des provisions apportées dans mes bagages et enterrées dans le jardin de Madame Grolleix à mon arrivée ?</p>
<p>Que nenni, c’est à la fois plus simple et plus compliqué : il suffit d’avoir un cousin dans le midi, une paire de bottes en caoutchouc, et un peu de chance, car il en faut toujours un peu, de la chance, pour échapper à la vigilance de la maréchaussée. C’est la combine à Lulu, éprouvée depuis plus de vingt ans, que je vous livre ici, vous mes lecteurs hypothétiques sur ce blog qui n’est ouvert à aucun visiteur car je n’en ai jamais communiqué l’adresse. Je ne risque donc pas grand-chose à le faire.</p>
<p>Donc pour commencer, il faut un cousin dans le midi. Ça peut marcher avec un frère, une belle sœur, une tante ou un ami dans une autre région, mais je n’ai pas essayé et ne garantis donc rien. Si vous avez le choix, prenez le cousin. Pour ma part, je suis bien servi, puisque j’ai bien le cousin qu’il faut, et avec qui j’entretiens de très bons rapports, c’est important même si nos rapports sont surtout épistolaires car je ne vais pas souvent le voir, mais passons sur ces détails. Un autre détail en revanche est crucial : il faut que le cousin ait un accès au produit voulu, et avec le mien ça tombe bien puisqu’il est cultivateur. De la bonne qualité, élevée en plein air au soleil de la Haute Provence, et amoureusement récoltée à la main, garantie sans aucun produit chimique.</p>
<p>En second lieu, il faut une bonne vieille paire de bottes en caoutchouc. Le caoutchouc a son importance, en cela qu’il garde pendant des années une odeur caractéristique et puissante, et qui se mélange bien avec l’odeur des pieds, ce qui couvrira généralement l’autre fumet, qui intéresse beaucoup les chiens et les gendarmes. Gendarmes qui eux aussi ont des pieds, engoncés dans des bottes, notez bien ce détail, avec une odeur que les chiens aiment bien et qui leur est familière, celle de leurs maîtres. Partant de là, il suffit alors de remplir la pointe d’une des bottes, ou des deux si l’on veut faire des provisions qui durent plus longtemps, avec un petit sac bien emballé dans du film alimentaire et poussé bien au fond pour qu’on ne le remarque pas trop vite si le colis venait à être ouvert. Le colis parce qu’on envoie bien évidemment les bottes par la poste.</p>
<p>Ensuite, il faut de la chance. Elle est grandement facilitée par le masquage olfactif, et un petit mot bien en évidence sur le dessus du paquet. Ce petit mot doit être écrit d’une main grossière comme celle d’un paysan au sortir de sa dure journée de labeur, au gros feutre noir, et avec quelques fautes. Quelques taches de terre sur le papier, mais pas trop, complètent l’artifice.</p>
<p>Le mot contient seulement ceci :</p>
<blockquote>
<p>Cher Lucien, tu as oublié tes botes dans mon garage la dernière foi. Je te les rend. Affectueusement. Dédé.</p>
</blockquote>
<p>Et hop ! Emballé c’est pesé, mon cousin envoie le paquet, que je vais chercher à la poste ou qui me sera directement livré par le facteur, c’est selon. Dès réception, je les lui renverrai, sans le produit bien entendu, avec un mot du même style. On ne va pas acheter une paire de bottes à chaque fois.</p>
<p>Les bottes ne voyagent jamais <em>chargées</em> vers le cultivateur, qui est celui qui risque le plus. Quant à moi, en cas de problème, je pourrais toujours prétexter ne pas connaître cet expéditeur qui a utilisé un faux nom. Ou refuser de le dénoncer, si le pandore est un peu fin, ce qui peut arriver. Et avec mes soixante balais passés, je ne risque qu’une nuit au poste, une amende et un rappel à la loi. Cela n’est jamais arrivé, en plus de vingt ans, preuve que le coup des bottes est efficace.</p>
<p>Et voilà comment mon Lulu peut se permettre une petite relaxation bien méritée après chaque journée de labeur. Le métier et l’expérience, il n’y a que ça de vrai.</p>La cagagne à l'aubergeurn:md5:248b856920f031a4069a1a166b2d97772020-06-29T05:08:00+02:002020-10-04T12:48:30+02:00lucien-durand<p>Lucien apprend, dans cet épisode peu glorieux, qu’il ne faut pas se moquer du monde.</p>
<p><em>Avec : Jeanne Lalochère, Janette</em></p> <figure style="margin: 0 auto; display: table;"><img alt="En cas de cagagne, juin 2020" class="media" src="https://lulu.dissitou.org/blog/public/photos-posts/papier-toilette.jpg" height="521" width="782" />
<figcaption>En cas de cagagne, il faut du papier</figcaption>
</figure>
<p>C’est ainsi que mon cousin du midi, dont j’ai déjà parlé à maintes reprises, hein, que mon cousin donc appelle <em>la courante, la diarrhée, la filante, la chiasse, la cliche, la débâcle, la caquesangue, la foire</em> : tout cela c’est simplement une <em>cagagne</em> pardi.</p>
<p>C’est une si jolie expression, enfin c’est affaire de goût bien entendu, quoique l’expression “affaire de goût” soit mal choisie en ce cas précis, mais passons. Et j’en tiens une belle aujourd’hui, au point d’avoir failli faire défaut à mes obligations professionnelles, ce qui serait une première en presque cinquante ans de métier. Jamais malade, mon Lulu, toujours fidèle au poste, on peut compter sur lui.</p>
<p>Alors depuis mon retour au travail ce soir, je serre les dents, et un peu aussi les fesses, même très fort. Pas évident de le faire assis dans le fauteuil de l’accueil, surtout que je ne voudrais pas le tacher, car Dame Jeanne m’en voudrait certainement, et l’humiliation qui me serait faite de devoir l’avouer m’a retenu de poser mon auguste postérieur où que ce soit. Tu feras ton service debout, Lucien, quoi qu’il t’en coûte !</p>
<p>Alors je tourne en rond, je fais des voyages entre l’accueil et les toilettes, les toilettes et l’accueil, tentant de retenir ce flux qui n’est jamais bien loin de rompre son barrage, et tentant aussi de savoir ce qui a bien pu le provoquer. Les mûres offertes par Madame Grolleix au sortir de la sieste ? Le pinard un peu aigre que j’avais laissé traîner dans une bouteille au soleil au fond du jardin ? Une maladie plus vicelarde, comme la gastro-entérite qui sévit peut-être à l’auberge depuis qu’il y a des mômes qui traînent leurs mains pleines de doigts un peu partout ?</p>
<p>En étant là dans mes interrogations, je finis par avoir un petit creux, parce que ça donne faim de se vider ainsi et qu’il faut bien remplir cet estomac qui gargouille, et je me dirige vers la cuisine pour tenter, en remplissant le réservoir d’un côté, d’empêcher une sortie inopinée par l’autre.</p>
<p>Et puis j’ai trouvé ce mot, scotché bien en évidence sur le panneau d’affichage à côté de l’entrée de la chambre froide, et signé de Janette, notre cuisinière émérite : <em>Pour Lucien</em></p>
<blockquote>
<p>Mon cher Lucien.</p>
<p>Il est bien naturel que la faim vous prenne au milieu de la nuit, et je n’objecte pas à ce que vous veniez vous restaurer. Je vois aussi que vous avez du goût pour mes recettes, et j’en suis flattée, et tout cela me va bien tant que vous puisez dans les restes des plats que je garde pour le personnel. Je n’objecte pas non plus à vos descentes dans la cave, tant que vous ne prenez pas les crûs les plus chers, au risque de vous faire attraper par la patronne, ce que je ne pourrais pas couvrir pour vous. La soif est compréhensible, surtout après un bon repas.</p>
<p>En revanche, prendre un demi-poulet rôti que j’avais préparé pour les paniers repas du lendemain comme vous l’avez fait jeudi, ou une part conséquente du saumon froid comme vous l’avez fait vendredi, ou encore d’autres mets qui ne vous étaient pas destinés et que j’ai dû refaire en urgence le lendemain matin pour le buffet du midi, je ne le tolèrerai pas plus longtemps.</p>
<p>Aussi j’ai décidé de vous jouer un petit tour, qui j’espère vous enseignera le respect dû à mon travail.</p>
<p>Il existe une plante aromatique rapportée de mes voyages, et dont vous connaissez maintenant les effets. À petite dose, elle donne un goût très subtil à mes plats. À forte dose, elle provoque toutefois quelques inconvénients. Je l’ai incorporée hier soir à ma tourte que j’avais préparée exprès pour vous, prélevant au préalable deux petites parts pour plus de vraisemblance. Vous avez pris la troisième.</p>
<p>Vous trouverez sur l’étagère à épices un antidote, dans une petite boîte rouge, c’est la seule et vous ne pouvez pas la manquer. Une cuiller à café diluée dans un bol d’eau chaude, et il ne faudra que quelques minutes pour que vous vous sentiez mieux.</p>
<p>Sans rancune j’espère.</p>
<p>Janette</p>
</blockquote>
<p>J’ai bien failli me fâcher tout rouge, et puis j’ai réfléchi. J’ai pris le remède, et éclaté de rire, manquant d’ailleurs provoquer une catastrophe.</p>
<p>Ça va beaucoup mieux maintenant, mon Lulu, tu n’as pas perdu ton sens de l’humour.</p>Et si Lucien vous avait menti ?urn:md5:321b43b08d55459d9e446abdc3e0b14c2020-06-27T17:01:00+02:002020-10-04T12:45:24+02:00lucien-durand<p>Où l’on apprend que Lulu nous a raconté une histoire, sans malice aucune.</p> <p>Et s’il croyait tellement fort à son mensonge qu’il en serait devenu aussi réel que la vérité ? Un mensonge auquel on croit, au point de ne plus savoir faire la différence avec ce qui s’est réellement passé, au point d’en pleurer sincèrement et amèrement, peut-on dire que c’est encore un mensonge ?</p>
<p>La <a href="https://auberge.des-blogueurs.org/post/2020/06/25/loulou-darling" hreflang="fr" title="Loulou Darling">disparition de Mary</a> doit maintenant être racontée à travers un autre prisme, celui des rapports de police de l’époque, puis ceux de l’hôpital psychiatrique où Lucien passa ensuite quelques années, qui déroulent un autre fil, bien différent. Comme pour beaucoup de récits, il y a une histoire à l’intérieur de l’histoire, comme une poupée russe qui lui ressemble, avec peut-être quelques détails d’importance qui en diffèrent, mais une histoire souvent plus petite et plus banale. Il en va ainsi de l’histoire de Lucien.</p>
<p>Il n’a pas menti sur leur amour, ni sur sa perte et son désarroi, ni sur sa vie d’après l’histoire. Mais il n’a pu en accepter la cruauté, et vous en a raconté une autre, qui lui convenait mieux, tout simplement. Ne le jugez pas trop vite.</p>
<p>Mary n’était pas rentrée ce soir-là, avait affirmé Lucien, mais un voisin du jeune couple l’avait pourtant vue revenir de ses cours, vers vingt heures. Il faut dire que Mr Bolton n’avait pas autre chose à faire de sa vie, vieux et impotent comme il l’était, que de les épier eux et d’autres habitants de l’immeuble mais surtout eux car ils étaient jeunes et beaux et faisaient des choses <em>intéressantes</em>. Et que la fenêtre de sa cuisine donnait directement sur leur appartement en enfilade, situé de l’autre côté de la rue. Souvent, il se postait sur sa chaise, se prenait une petite bière bien fraîche, éteignait la lumière et écartait les rideaux juste assez pour ne pas être surpris, et attendait patiemment. Son attente était souvent récompensée car les tourtereaux s’en donnaient régulièrement à cœur joie, se déshabillant dans l’entrée, se poursuivant nus dans l’appartement en riant comme des enfants, et finissant sur le canapé du salon pour des ébats pleins d’enthousiasme. Et là, James, c’était le prénom de Mr Bolton, était aux premières loges. Il n’avait bien sûr pas tous les détails, pas comme dans les films cochons qu’il louait sur des cassettes VHS et regardait tard le soir, mais c’était un spectacle vivant, pour de vrai, avec de vrais personnages, qu’il arrivait à surprendre et qu’il connaissait intimement. Et cet interdit était ce qui l’excitait le plus, car il les connaissait maintenant depuis plusieurs mois. Il les voyait baiser, manger, boire, lire ou danser, et rigoler, à peine à quinze mètres de lui, et participait à leur vie comme à celle des personnages de sitcom, en beaucoup plus émoustillant parce qu’à la télévision les scènes étaient d’une banalité affligeante. Pas comme la vie intime des voisins.</p>
<p>D’une banalité affligeante pourtant, c’est ainsi que l’on peut définir l’accident qui coûta la vie à Mary, un soir pluvieux d’octobre. Elle venait de rentrer, et le couple avait commencé ses ébats quasi quotidiens. James de son côté écarquillait les yeux, ravi du nouveau spectacle qu’ils allaient lui donner, et avait quitté la scène des yeux quelques secondes, peut-être une minute, le temps d’aller chercher une Heineken dans le frigo, seule bière qu’il pouvait se payer avec sa pension d’invalide de guerre. Ça donne soif les émotions, et ça prend du temps de se lever, ouvrir le frigo et revenir s’asseoir quand on a une patte folle. Une minute, pas plus, peut-être deux à la rigueur. Et voilà qu’en revenant il avait vu Lucien, nu, debout près du canapé, la mine décomposée, et tout de suite après qu’il l’avait <em>entendu, </em>entendu hurler comme un possédé, entendu malgré les vitres de leurs deux fenêtres fermées, la sienne et celle de Lucien. Il ne voyait pas Mary, elle était masquée par le canapé, la nuque brisée après être tombée, Lucien la chevauchant, tombée d’à peine cinquante centimètres de hauteur, cinquante malheureux centimètres, suffisants pour l’expédier dans les ténèbres, laissant son Loulou pleurer pour l’éternité.</p>
<p>À la police, qu’il avait appelée sans savoir ce qui arrivait mais certain que ce cri était celui d’un horrible drame qui nécessitait une intervention, James raconta tout ce qu’il avait vu, et pas vu. Les policiers interrogèrent Lucien en pure perte, il ne savait que prononcer “<em>Loulou, Loulou</em>”, mais à la faveur du témoignage de Mr Bolton, qui avoua dans sa panique qu’il les épiait régulièrement et qu’ils s’entendaient à merveille, et que c’était arrivé pendant un moment de pure joie, ils conclurent à l’accident.</p>
<p>Lucien ne revint pas en vacances en Angleterre pour chercher Mary, comme il vous l’a raconté. Il a inventé tout cela. Les six années suivantes il les passa à l’hôpital pour malades mentaux de Bedford, jusqu’à ce qu’il en ressorte lessivé mais vivant, abruti de cachets mais vivant. Et s’il a raconté qu’il cherchait Mary, c’est bien ce qu’il faisait, à sa manière.</p>
<p>Et il reprit sa vie. Et il concocta son récit, où il n’avait aucune responsabilité, un récit aussi tragique dans le fond, mais qu’il pouvait mieux supporter. Rien de plus, et rien de moins.</p>
<p>Et tout le reste de ce qu’il vous a raconté est la pure vérité. Parole.</p>Loulou darlingurn:md5:b424d61b40ce02fda7685dc1fa7a41972020-06-25T05:53:00+02:002020-10-04T12:42:00+02:00lucien-durand<p>Lucien raconte pourquoi il est resté célibataire et n’a jamais eu d’enfants. On apprend aussi pourquoi il boit, et c’est une histoire bien triste.</p>
<p><em>Avec : Gaston</em></p> <figure style="margin: 0 auto; display: table;"><img alt="Un petit Lulu, juin 2020" class="media" src="https://lulu.dissitou.org/blog/public/photos-posts/1280px-Breastfeeding_a_baby.JPG" height="851" width="1280" />
<figcaption>Un petit Lulu - <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Breastfeeding_a_baby.JPG" title="via Wikimedia Commons">Anton Nosik</a> / <a href="https://creativecommons.org/licenses/by/3.0">CC BY</a></figcaption>
</figure>
<p>D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été Lulu. D’abord pour mes parents, qui m’avaient eu sur le tard, comme on disait à l’époque quand un polichinelle sortait de son tiroir passés les quinze ans de mariage. Ça faisait des années qu’ils y mettaient tout leur cœur, que maman pleurait le soir, et que papa tournait dans la cuisine, désemparé, se demandant ce qu’il avait bien pu faire pour mériter cette absence d’enfant. Ils avaient vu des docteurs, des charlatans, des rebouteux, une ou deux sorcières, un mage barbu, et fait tous les pèlerinages recommandés par le curé. Alors quand je suis enfin arrivé, sans qu’on sache vraiment ce qui avait permis ce miracle, ils n’ont eu qu’à dépoussiérer ma chambre, qui m’attendait bien proprette depuis toujours, avec son petit lit fabriqué par grand-papa avant qu’il ne passe l’arme à gauche, et des rideaux juste comme il fallait pour se marier avec le papier peint, et des jouets pour tous les âges que j’allais avoir un jour, alignés comme à la parade sur les étagères qui couvraient les murs.</p>
<p>Et papa m’a appelé tout de suite Lulu, et maman l’a imité, et toute la famille émerveillée par ce petit enfant de l’amour en a fait de même. Et les copains et les copines à l’école ont suivi, et ça a continué au collège, durant mon apprentissage, et enfin au travail. Pour tout ce monde j’étais Lulu, et Lucien seulement pour mes professeurs, mes patrons, l’état civil et de manière plus générale pour les emmerdes.</p>
<hr />
<p>Mais il y a eu une parenthèse, à l’âge de vingt ans, où je n’étais plus Lulu. Ou plutôt j’étais toujours Lulu pour tout le monde, sauf pour l’étoile filante qui a mangé tout mon cœur et mes tripes en une si courte et merveilleuse année, une année qui allait faire de moi par la suite un autre bonhomme, une année à la fois immensément joyeuse et tragique, pleine d’évènements dont le dernier allait me laisser sur le carreau, sonné comme un boxeur qui perd le combat au quinzième round après avoir pris tous les coups qu’il pouvait encaisser.</p>
<p>Elle s’appelait Mary, mais je le prononçais Marie, à la française, et elle prononçait mon prénom Loulou, à l’anglaise, parce qu’elle venait de là-bas, de l’autre côté de la mer, où les gens conduisent du mauvais côté et savent se moquer des autres en faisant croire qu’ils se moquent d’eux-mêmes. Sacrés hypocrites ! Mary était fille au pair pour la patronne d’un petit hôtel de la côte normande où je faisais mes premières armes comme réceptionniste. Elle étudiait la littérature et la poésie à Cambridge, et c’est d’elle que m’est venu l’amour des mots bien tournés et des belles histoires même si elles sont tristes, un goût qui ne m’a jamais quitté par la suite, un reste de nos nuits passionnées où nous déclamions chacun des vers dans notre langue entre deux parties de jambes en l’air.</p>
<p>L’été arrivant, Mary a dû repartir pour son pays, et je l’ai suivie, pas sur un coup de tête mais parce que je ne pouvais imaginer rester loin d’elle, elle m’importait trop pour que je laisse filer ma chance. Et voilà mon “<em>Loulou Darling”</em>, comme elle m’appelait, qui débarque dans cette charmante campagne de l’East Anglia, où les pelouses sont taillées au coupe-ongles tous les dimanches, et les barrières repeintes en blanc à chaque printemps. J’ai donc pris un job de barman au pub du village où habitaient ses parents, Saint Neots qu’il s’appelait, et c’est là que j’ai acquis mon anglais d’arrière-cuisine, parce que l’anglais de la campagne n’est pas le Queen’s English qu’on entend à la BBC. Je parle donc, avec un accent parisien, l’anglais du nord-est de l’Angleterre, avec son accent épais et où des tas de consonnes sont avalées et qu’il faut deviner.</p>
<p>Cette année fut heureuse, la plus heureuse de ma vie. Le soir nous imaginions tous les petits Luciens et Luciennes que nous aurions, et qui s’appelleraient tous Lulu, elle y tenait vraiment, et je ne pouvais qu’en rire en l’embrassant et en imaginant l’effroi de mes parents quand nous leur présenterions cette descendance de copies conformes. Et nous continuions nos études, moi d’anatomie comparée et elle de littérature, et nous ne pouvions imaginer d’autre avenir que celui-là, où les Lulus cavaleraient dans une maison remplie de livres et d’essais que Marie aurait écrits, où nous ouvririons un pub-librairie réservé aux amoureux, et où nous vieillirions ensemble dans la félicité, entourés de nos petits lutins.</p>
<hr />
<p>Et puis Marie a disparu. Vraiment disparu, parole de Lucien. Un soir elle n’est tout simplement pas rentrée, et je ne l’ai jamais revue.</p>
<p>Tout le monde l’a cherchée, les bois, les rivières, les lacs ont été fouillés par des centaines de volontaires avec leurs chiens, j’ai été cuisiné par un Sherlock Holmes venu spécialement de Londres, et avec sa famille nous avons collé sa photo partout dans la région, et tous les journaux locaux en ont parlé. J’étais devenu célèbre, le <em>frenchie désespéré</em> comme ils m’avaient surnommé. Cela n’a pas suffi, tout ce malheur pour ne rien savoir à la fin, ça m’a déglingué les rouages du dedans, et je n’ai plus jamais été le même.</p>
<p>Pendant les vingt années suivantes, j’ai passé tous mes congés en Angleterre, obnubilé par l’idée qu’il fallait continuer, que j’allais la retrouver un jour par hasard, blessée ou amnésique dans un des nombreux asiles que je visitais avec une photo d’elle, et où je passais de plus en plus pour un de leurs futurs pensionnaires. Je lisais les archives de tous les journaux, tous les tabloïds, tous les magazines, rattrapant à chaque séjour une année de retard sur les faits divers. Les jours les plus sombres, j’imaginais un appel de la police, m’apprenant qu’on avait retrouvé son corps dans une carrière, sous les berges d’un fleuve, ou au fond d’une forêt. Tout aurait été mieux que de ne pas savoir.</p>
<p>Je n’y vais plus maintenant, et j’ai l’impression d’avoir abandonné Mary. Je bois pour oublier, et n’y arrive pas souvent.</p>
<p>Je n’ai jamais été entendu dans mes prières, peut-être parce que je ne croyais pas à cet ami imaginaire qui soutient les fidèles d’un dieu ou d’un autre.</p>
<p>Voilà pourquoi il n’y a jamais eu de petits Lulus, pas plus que de Madame Lulu, parce que je n’ai jamais pu faire ce deuil, parce qu’à chaque fois qu’une donzelle avait des vues sur moi je reculais, imaginant la réprobation de Mary, me disant qu’un jour elle allait me revenir. Et j’ai usé la patience de toutes mes prétendantes, qui finissaient toujours par me qualifier de vieux garçon indécrottable et passaient leur chemin. Que d’occasions ratées, qui me font aujourd’hui penser aux derniers vers de ce magnifique poème, <em>Les Passantes</em>, <span class="st">d’Antoine Pol, que Georges Brassens avait si bien mis en musique :</span></p>
<blockquote>
<dl>
<dd><i>Alors, aux soirs de lassitude</i></dd>
<dd><i>Tout en peuplant sa solitude</i></dd>
<dd><i>Des fantômes du souvenir</i></dd>
<dd><i>On pleure les lèvres absentes</i></dd>
<dd><i>De toutes ces belles passantes</i></dd>
<dd><i>Que l’on n’a pas su retenir</i></dd>
</dl>
</blockquote>
<hr />
<p>Cette nuit, j’en étais encore là à tourner cette histoire en rond dans ma tête comme je le fais depuis si longtemps, trop longtemps, tentant de lire mais sans arriver à tourner les pages, perdu dans mes souvenirs.</p>
<p>Et puis Gaston est arrivé pour taper la discute, et j’étais si heureux de sortir de cette obsession que je n’ai pu que le rembarrer un tout petit peu, pour le principe, pour jouer avec lui mon personnage.</p>
<p>Il ne s’est pas laissé faire, et comme il avait amené de quoi boire un coup, j’ai capitulé et nous avons enchaîné dans la cuisine. Ce garçon a l’âge d’être mon fils, ai-je pensé par la suite, et j’en aurais été fier de ce petit Lulu qui en a bien plus dans le crâne qu’il n’en laisse paraître. Il a l’air aussi d’en avoir bavé, et d’avoir fait la paix avec ça, pas comme moi.</p>
<p>Mais je ne lui en ai rien dit, bien sûr, et nous avons passé un bon moment ensemble, à parler de l’auberge et de ses clients, et de mon renard, et il m’a aussi mis en garde contre les bavardages de Madame Grolleix sur les gens du village. J’ai retenu le conseil.</p>
<p>Quelquefois, mon Lulu, suffit d’avoir un ami pour oublier les mauvais jours, qui attendent tapis dans l’ombre de la nuit.</p>Bonjour, je suis un renardurn:md5:682ec87e21b4456752a5f0c9678984162020-06-22T05:18:00+02:002020-10-04T12:37:06+02:00lucien-durand<p>Lucien noue une amitié avec un renard, qu’il nourrit avec les restes de l’auberge.</p> <figure style="margin: 0 auto; display: table;"><img alt="Le renard de l'auberge, juin 2020" class="media" src="https://lulu.dissitou.org/blog/public/photos-posts/1280px-2016-10_Fox_Shipshaw_river_Saguenay_02.jpg" height="500" width="1280" />
<figcaption>Le renard de l’auberge - <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:2016-10_Fox_Shipshaw_river_Saguenay_02.jpg" title="via Wikimedia Commons">0x010C</a> / <a href="https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0">CC BY-SA</a></figcaption>
</figure>
<p>Voilà trois nuits aujourd’hui que je nourris celui qui deviendra, je l’espère, mon nouvel ami.</p>
<p>Lors de ma première veille à l’auberge, juste après ma petite cigarette-qui-fait-rire, je m’étais assis sur le gravier amoureusement ratissé par Henri, le factotum, juste devant l’entrée. On dirait qu’il a visité le Japon, notre Henri, pour aimer autant le rangement parfait de ses petits cailloux. Je dois avouer que j’apprécie cet amour du détail, et ces cailloux sont si bien choisis, tout ronds et lisses comme s’ils avaient été sélectionnés un par un, qu’on peut s’asseoir dessus sans que ça pique le derrière, et c’est bien le meilleur siège en pleine nature que j’aie connu depuis longtemps. Un endroit parfait pour rêvasser et réfléchir à la Grande Question sur la vie, l’univers et le reste, comme j’aime à le faire quand je ne pilote pas un navire perdu dans l’immensité des mers du Sud. C’est selon, comme dit mon cousin du midi pour conclure ses monologues quand on a un peu picolé, sans qu’on sache vraiment selon quoi d’ailleurs, il n’est pas toujours très clair dans ses explications.</p>
<p>Je contemplais le ciel, à cette heure où plus rien ne bouge, ne crie ou ne blablate, vers deux heures du matin bien tassées. Et puis, du coin de l’œil, j’ai cru surprendre un mouvement furtif dans les petits buissons qui bordent l’allée de gravier, sur le chemin qui mène au lac. J’ai tourné la tête, mais bien trop vite et trop brusquement, car je l’ai surpris, lui qui ne devait pas me quitter des yeux depuis un moment, et j’ai juste entraperçu une petite ombre qui s’enfuyait. Un lapin ? Un blaireau ? Un petit Snurk ? Un petit animal en tout cas, dont j’avais deviné très vaguement la forme avant qu’il ne disparaisse, avalé par l’obscurité.</p>
<p>Le deuxième soir, il n’est pas venu, et pourtant je le guettais avidement. Peut-être l’avais-je trop effrayé et s’était-il dit que je représentais un danger. Peut-être avait-il choisi un autre chemin pour sa promenade nocturne. Peut-être avait-il changé d’horaire. Peut-être aussi me surveillait-il, à l’abri d’un buisson, ou de plus loin, près de la berge.</p>
<p>Le troisième soir, j’ai bien préparé mon poste d’observation. Vers onze heures, je suis passé par la cuisine, et j’ai collecté quelques restes dans la poubelle qui n’avait pas encore été sortie. Ne sachant pas trop ce qu’il pourrait bien aimer, j’ai pris deux poignées de déchets : des épluchures de légumes, si c’était un lapin, et quelques os de volaille s’il était carnivore. Me demandant ce qu’un Snurk peut bien manger, j’ai aussi ajouté à ma collecte un petit quignon de pain, on ne sait jamais. Et je suis allé disposer tout ça à une vingtaine de mètres de l’entrée.</p>
<p>Puis je suis retourné vaquer à mes nombreuses et harassantes occupations professionnelles : quelques pages de mon roman, un curage de narines en règle, une petite ronde dans les étages, où j’arrive maintenant à mettre un nom sur les ronflements, surtout que je zieute le planning avant pour connaître l’identité des pensionnaires, privilège de veilleur de nuit. Et enfin le petit casse-croûte sur le pouce dans la cuisine, accompagné de son coup de gorgeon bien mérité.</p>
<p>Vers une heure et demie, je suis sorti pour ma petite pause contemplative, mais je n’ai pas regardé les étoiles un seul instant. J’ai scruté mon tas de déchets jusqu’à ce que les yeux me piquent, et il est venu enfin. Aplati au sol comme un chiot qui tremble de peur, il s’est approché de mon appât, et en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, s’est emparé d’une carcasse de ce délicieux poulet de Bresse que cuisine notre maître-queue, et s’est enfui avec son butin. J’ai eu tout juste le temps de voir son ventre blanc, sa queue touffue, et l’éclair de ses yeux quand il m’a fixé un bref instant. C’était un renard !</p>
<p>Depuis, chaque soir, je dépose à l’endroit habituel de quoi le nourrir, et cela fait maintenant trois nuits qu’il revient. J’ai essayé hier de lui donner un reste de poisson, et bingo, il semble le préférer au poulet. Va pour le poisson, mon ami, je vais connaître tes goûts. Ça ne risque pas de manquer, le poisson, c’est le plat préféré des pensionnaires paraît-il.</p>
<p>Et puis cette nuit, il est resté bien plus longtemps, le temps de faire son repas tranquillement au lieu de se sauver comme un voleur, en me surveillant tout de même du coin de l’œil, des fois que j’aurais fait mine de me lever. Mais j’ai bien trop peur de l’effrayer, et je suis resté dix bonnes minutes sans bouger à l’observer trier les arrêtes, se régaler avec la peau et les nageoires, que j’entendais craquer sous ses dents. Il avait l’air content, et surtout faire le lien entre le bonhomme assis immobile sur son gravier et le festin tombé du ciel. Est-ce si intelligent que ça, un renard ?</p>
<p>Mon vieux Lulu, tu t’es fait un copain. Reste la question qui va te préoccuper tout l’été : se laissera-t-il apprivoiser ?</p>J'aime la nuiturn:md5:53ee30e8697d0e5d0c5ff2f84ccbc2922020-06-19T05:31:00+02:002020-10-04T12:34:15+02:00lucien-durand<p>Lucien nous parle de la nuit qui s’écoule très lentement, comme un sirop épais, sans glouglou, entre une heure et cinq heures du matin.</p> <figure style="margin: 0 auto; display: table;"><img alt="La voie lactée, juin 2020" class="media" src="https://lulu.dissitou.org/blog/public/photos-posts/1024px-Bontecou_Lake_Milky_Way_panorama.jpg" height="419" width="1024" />
<figcaption>La voie lactée - <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bontecou_Lake_Milky_Way_panorama.jpg" title="via Wikimedia Commons">Juliancolton</a> / <a href="https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0">CC BY-SA</a></figcaption>
</figure>
<p>J’aime la nuit. Pas la nuit de travail qui commence pour moi à neuf heures du soir, non, la nuit profonde, celle que beaucoup ne connaissent pas vraiment, sauf les quelques insomniaques qu’on peut entendre remuer dans leurs chambres en passant dans les couloirs. Les autres ronflent gentiment, et rêvent. Je les envie parfois, parce que je ne rêve pas souvent, ou si je rêve je ne m’en souviens pas, ça doit être l’alcool comme m’a raconté le docteur : “<em>Faudrait vous calmer, Lucien, à votre âge et avec vos artères vous risquez votre vie à chaque verre, et encore heureusement que vous ne fumez pas. Vous avez songé à vous faire aider ?</em>”. Mais si c’était la picole qui m’aidait, qu’est-ce qu’il en saurait ce morveux d’à peine trente-cinq ans ?</p>
<p>Bref, en parlant de la nuit, je parle de la nuit qui s’écoule très lentement, comme un sirop épais, sans glouglou, entre une heure et cinq heures du matin.</p>
<p>Ma nuit de travail commence donc à neuf heures. Il y a encore beaucoup de monde qui circule dans l’auberge, des promeneurs qui vont goûter le calme près du lac après dîner, des pensionnaires qui viennent taper la discute à l’accueil, le personnel de salle et de restaurant qui range et prépare les tables pour le lendemain après avoir servi les derniers convives, des assoiffés repus et quelquefois éméchés, qui reviennent du village en riant un peu trop fort.</p>
<p>Jusqu’à minuit, tout ce petit monde circule, papote, rentre se coucher, traîne au salon, qui tout seul avec un bouquin, qui en groupe autour d’un jeu de société, et le contraste avec la journée est encore à peine perceptible. À peine sont-ils un peu moins nombreux, un peu moins bruyants, un peu moins fébriles, un peu moins visibles. Mon travail en ce début de soirée est de vérifier les plannings, répondre aux demandes éventuelles des clients <a href="https://auberge.des-blogueurs.org/post/2020/06/14/Tiens-qu-est-ce-que-vous-lisez" hreflang="fr" title="Tiens, qu'est-ce que vous lisez ?">comme j’en ai déjà parlé</a>, et clôturer la comptabilité de la journée. Qui est là, combien de recouches, combien de départs et de ménages à faire pour l’homme de chambre que je n’ai pas encore vu, et qui doit se la couler douce avec si peu de mouvements. Comme dans cette auberge il n’y a pas de clients de passage, entendons par là les voyageurs imprévus qui chercheraient encore à se loger, la tâche m’est grandement facilitée. Dans d’autres établissements, il y a toujours ou presque une chambre à vendre, et des visiteurs nocturnes dont il faut se méfier <em>a priori</em>. Toujours. Ici, le planning est archi-complet, et il n’y a rien à vendre, pas d’embrouilles, tu as bien choisi ta sinécure mon Lulu.</p>
<p>Et puis, à partir de minuit, l’ambiance change, imperceptiblement au début, jusqu’à ce moment où il n’y a plus ni bruit ni agitation. C’est l’heure pour moi du casse-croûte, après une petite ronde dans les étages pour être sûr que tout est calme.</p>
<p>Après avoir verrouillé la porte principale, car il ne s’agirait pas qu’un intrus profite de mon absence pour venir fouiner à la recherche du coffre, direction la cuisine, où il faut le dire on ne manque de rien : poulardes, charcuteries, fromages, et toujours quelques petites bouteilles entamées, probablement réservées par la cuisinière pour ses sauces. Il me faudra d’ailleurs faire gaffe, s’agirait pas qu’elle s’en rende compte. Alors si pas de boutanche, ou une seule posée bien en évidence sur le passe-plat, je n’hésite pas : le cellier est juste là qui me tend les bras, et je pioche dans l’ordinaire. Ne jamais prendre un grand cru, ils sont comptés, mais le vin de table l’est moins, et je ne suis pas difficile. Va pour un bourgogne ordinaire.</p>
<p>C’est là que j’apprécie mon repas, dans le ronronnement des congélateurs et de la chambre froide, et le goutte à goutte de l’évier de la plonge que je n’arrive pas à refermer correctement. Il faudra que j’en parle à Henri, rencontré hier à la fin de mon service, et à qui j’ai raconté l’incident de l’alarme. Je crois qu’il va bougonner.</p>
<p>Et puis, une fois rassasié, je peux m’offrir mon petit plaisir de la nuit, un petit pétard que je ramène tout prêt spécialement pour cet instant, et que j’irai fumer devant la porte d’entrée, un peu à l’écart mais l’oreille aux aguets pour le téléphone ou une autre alarme éventuelle, et l’œil sur l’escalier pour avoir le temps de planquer le mégot au cas où un insomniaque aurait décidé de venir m’emmerder. C’est mon cousin du midi qui me fournit, et il s’y connaît le bougre, que du bio roulé sous les aisselles et élevé au grain. Je n’ai jamais fumé autre chose, rapport à mon papa qui est canné d’un méchant cancer il y a maintenant trente ans. Ce petit plaisir me vient de mes courtes années hippies, où je portais les cheveux longs et des habits bariolés. À cette époque, je ne travaillais pas à la vue des clients, j’étais encore garçon de cuisine, à récurer les casseroles et peler les légumes, et les patrons s’en fichaient bien de mon allure, c’était le plein emploi. Époque révolue, maintenant tu rentres en cuisine avec un bac minimum, ce qui fait marrer les vieux collègues qui racontent qu’à la plonge, des bacs on en a plusieurs.</p>
<p>Et là, le spectacle est tout bonnement à couper le souffle. Pas de lumières pour polluer la vision, et l’immensité devant moi, ou plutôt au-dessus, et je peux me laisser aller à rêver que je suis le capitaine d’un navire voguant sous les étoiles, responsable de la vie de tous mes passagers, pour les conduire vers leur destination paradisiaque où nous accosterons au petit matin. J’y reste souvent une bonne heure, jusqu’à avoir les paupières lourdes, et enfin il est temps de passer à la suite du programme : un petit somme réparateur dans le fauteuil de ministre que Dame Jeanne a installé derrière le comptoir. On y est bien.</p>
<p>Jusqu’à cinq ou six heures il ne se passera plus rien, avant que je ne doive lancer les machines à café et l’eau chaude pour le thé du petit déjeuner, mettre les draps de côté pour Gaston qui passera tout à l’heure, et réceptionner le pain et les viennoiseries.</p>
<p>À six heures et demie, petit rangement pour que la patronne trouve son bureau bien propre, c’est très important, coup de chiffon sur les “surfaces”, comme on dit dans le métier, pour enlever la poussière et les traces de doigts sur le comptoir, parce que les clients ne peuvent pas s’empêcher d’en laisser, des traces, comme ils ne peuvent s’empêcher de déranger les prospectus touristiques qu’ils ont consultés. Je les aligne donc bien bien, puis je me donne un petit coup de peigne pour être présentable et je passe aux toilettes où je me débarbouille. Et je suis fin prêt pour passer le relai.</p>
<p>Une nuit de plus au compteur, mon Lulu, et s’il ne s’est rien passé de fâcheux, une nuit pas trop fatigante, ça doit continuer comme ça.</p>La loi de l'emmerdement maximumurn:md5:5f2aeeb92b795c53bba63c3a3c861f512020-06-17T06:41:00+02:002020-10-04T12:29:04+02:00lucien-durand<p>Au milieu de la nuit de mardi à mercredi, les hurlements de l’alarme incendie sortent Lucien de sa tranquillité arrosée. L’alarme est une fausse alarme, heureusement, et ne fait que réveiller toute l’auberge.</p>
<p><em>Avec : toute l’auberge</em></p> <figure style="margin: 0 auto; display: table;"><img alt="Guinard incendie - Détecteur de fumée, juin 2020" class="media" src="https://lulu.dissitou.org/blog/public/photos-posts/Alarme-incendie.jpg" height="533" width="1140" />
<figcaption>Guinard incendie - Détecteur de fumée</figcaption>
</figure>
<blockquote>
<p><span class="reference-text"><span class="lang-en" lang="en"><i>Anything that can go wrong <strong>will</strong> go wrong </i></span></span>(<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_de_Murphy" hreflang="fr" title="La loi de Murphy">Loi de Murphy</a>)</p>
</blockquote>
<p>Et voilà, à peine ma deuxième nuit à l’auberge commencée, bien pépère à l’accueil avec ma dernière trouvaille dénichée à la bibliothèque du bourg, et cette fichue alarme qui se déclenche. Branle-bas de combat, tout le monde sur le pont !</p>
<p>Alors il faut savoir qu’en cas d’incendie, l’alarme se met à hurler dans toute la baraque, des cuisines au grenier, et que le volume n’est pas réglable. Ça hurle ou ça ne hurle pas, une alarme. Et il faut aussi savoir qu’il est interdit, et même impossible pour certains modèles, de l’arrêter avant d’avoir trouvé la cause de l’incident, ou de la catastrophe. On doit en premier vérifier, sur le panneau d’affichage de la bête, dans quelle zone de l’établissement a lieu le sinistre, puis s’y rendre dare-dare pour constater <em>de visu</em> l’ampleur du phénomène, et prendre les mesures adéquates. Tout cela se passe donc avec un boucan d’enfer dans les oreilles, des portes coupe-feu qui se sont refermées un peu partout, et des pensionnaires affolés qui déboulent de leurs chambres et vous apostrophent. Bien évidemment, si c’est dans les étages, interdiction formelle de prendre l’ascenseur, il faut grimper à pied, et en courant si possible, ce qui n’est pas une mince affaire quand on a déjà son premier gramme dans le sang. D’ailleurs avant de partir à l’assaut des étages, il faut coincer l’ascenseur, en s’assurant tout de même que personne ne s’en sert.</p>
<p>Tout le monde sur le pont, donc, mais c’est vite dit, parce que j’en suis d’abord presque tombé de ma chaise, renversant la bibine planquée sous le comptoir à mes pieds. Heureusement que je viens avec des réserves ! J’ai eu à peine le temps de me remettre debout et de planquer les dégâts, que voilà Dame Jeanne qui surgit dans l’accueil, depuis la salle de restaurant où elle finissait la mise en place des tables pour le lendemain. “<em>Lucien, vous avez touché à quelque chose ?</em>” me demande-t-elle avec un air mi-affolé, mi-courroucé. “<em>Ah ! non Madame</em>” lui réponds-je “<em>là c’est pour de vrai</em>”. Et me voilà d’ouvrir à la volée le placard du tableau électrique pour voir d’où provient l’incident sur le rack de l’alarme. “<em>Et on dirait même que ça vient de chez vous, hein !</em>” Là, son visage passe du blanc au rouge, ce qui lui va admirablement bien, et la voilà qui se précipite dans l’escalier.</p>
<p>Je lui emboîte le pas aussi vite que possible, après avoir bloqué l’ascenseur qui par chance était au rez-de-chaussée, et me voilà à cavaler dans l’escalier. Enfin, elle a pris pas mal d’avance, Dame Jeanne, parce que même avec ses petites jambes, elle gambade bien mieux que mon Lulu et ses presque soixante-cinq piges. Pouf ! Pouf ! Au premier comme au deuxième, quelques pensionnaires sont sortis de leurs chambres et nous jettent des regards inquiets, mais je n’ai pas le temps de leur adresser la parole, déjà essoufflé par la grimpette, et nous arrivons au troisième, sous les combles. Et j’ai oublié de parler des portes coupe-feu, qui s’étaient refermées automatiquement et qu’il a fallu ouvrir à chaque palier, deux par palier, et qui pèsent un âne mort, comme dit mon cousin du midi, mais je crois l’avoir déjà dit qu’il s’exprime comme ça mon cousin. Bref, non seulement j’ai mal aux cannes, mais aussi aux bras, et le cœur qui bat la chamade, et les poumons brûlés alors que je n’ai pas encore approché l’incendie.</p>
<p>Toutes les chambres sont fermées, sauf une car Dame Jeanne s’est déjà précipitée dans son logement, et par la porte béante je vois la fumée qui commence à envahir le couloir. <em>“Panique pas mon Lulu, on va faire sortir tout le monde en vitesse, faudrait pas perdre l’auberge, la patronne, les clients et le boulot, pas forcément dans cet ordre d’ailleurs</em>” me dis-je <em>in petto</em>. Mais je m’arrête sur le pas de la porte, surpris de l’odeur inhabituelle de cet incendie. Normalement quand ça crame, il y a une odeur de plastique brûlé si c’est un feu électrique, ou à la rigueur de bois carbonisé, ou de barbecue, mais certainement pas de savon, nom d’un chien !</p>
<p>Et pourtant oui, c’est une odeur de savon, ou de shampooing, ou d’un de ces trucs de filles qui sentent bon et justement, la fille est là, Mam’zelle Adèle, toute blanche dans son peignoir tout blanc et avec sa maman qui regarde affolée tout autour d’elle. Et là je réalise que ce n’est pas de la fumée mais de la vapeur d’eau, car j’entrevois à travers la porte de la salle de bains restée ouverte un nuage encore plus épais. Et soudain tout s’éclaire dans ma petite tête : la demoiselle a pris une douche, probablement très longtemps et très chaude, la chipie, et comme elle n’avait pas fermé la salle de bains, la vapeur a envahi la pièce d’à côté où se trouve le détecteur de fumée, et ce qui devait arriver arriva : déclenchement des sirènes, dérangement de Lulu au risque de lui faire avoir un infarctus, et de toute la maisonnée par la même occasion.</p>
<p>Ouf ! Par-dessus les hululements, je crie pour expliquer cela vite fait à Dame Jeanne, qui a viré au rouge écarlate, et lui demande d’ouvrir la porte-fenêtre qui donne sur le balcon pour aérer la pièce, et sur mes guibolles tremblantes je me mets en route vers le rez-de-chaussée, parce qu’il faut se magner de faire cesser ce potin infernal qui me vrille le crâne, (et le gramme n’y est pour rien pour ceux qui suivent).</p>
<p>Redescente donc à fond la caisse, descente pendant laquelle je double des pensionnaires qui avaient commencé à évacuer la tour infernale, et à qui je crie que tout va bien et que c’était une fausse alerte. Arrivé à l’accueil, je peux acquitter l’incident sur le panneau de contrôle et enfin couper ce fichu boucan. Quel soulagement ce calme absolu juste après la tempête !</p>
<p>Et là rebelote, mon pauvre Lulu, parce que ce n’est pas fini : on ne peut pas réenclencher la bête sans avoir rouvert les portes coupe-feu. Il me faut donc remonter, ignorer superbement les questions des pensionnaires et bloquer à nouveau ces fichues portes en position ouverte. Six étages au total et une douzaine de portes (qui pèsent un âne mort, je l’ai déjà dit ?), qu’il s’est farcis le Lulu, pour une gamine qui voulait se laver les cheveux !</p>
<p>De retour à l’accueil après ce marathon, j’enclenche à nouveau l’alarme, et je me mets illico à faire ce que sais le mieux faire : <strong>la gueule !</strong></p>
<p>Personne n’ose me parler, même Dame Jeanne qui a pourtant essayé avec un petit sourire embarrassé et que j’ai rembarrée, juste assez fort pour qu’elle m’entende mais sans la regarder en face parce que quand même c’est la patronne, hein, et j’ai marmonné un truc du genre “<em>Voilà ce qui arrive quand on ne surveille pas ses chiards, rogntudju…</em>”</p>
<p>Lulu fâché, ça peut durer et ça se voit, ça se voit même tellement qu’aucun des pensionnaires n’a osé m’approcher de toute la soirée. Et j’ai pu reprendre ma petite vie tranquille. Les Rougon-Macquart, que j’ai attaqué, en vingt volumes, ça va me faire l’été.</p>
<p>Non mais l’hôtellerie de nuit c’est peinard mon Lulu, sauf quand ça part en couille !</p>