La cagagne à l'auberge

Billet

Lucien apprend, dans cet épisode peu glorieux, qu’il ne faut pas se moquer du monde.

Avec : Jeanne Lalochère, Janette

En cas de cagagne, juin 2020
En cas de cagagne, il faut du papier

C’est ainsi que mon cousin du midi, dont j’ai déjà parlé à maintes reprises, hein, que mon cousin donc appelle la courante, la diarrhée, la filante, la chiasse, la cliche, la débâcle, la caquesangue, la foire : tout cela c’est simplement une cagagne pardi.

C’est une si jolie expression, enfin c’est affaire de goût bien entendu, quoique l’expression “affaire de goût” soit mal choisie en ce cas précis, mais passons. Et j’en tiens une belle aujourd’hui, au point d’avoir failli faire défaut à mes obligations professionnelles, ce qui serait une première en presque cinquante ans de métier. Jamais malade, mon Lulu, toujours fidèle au poste, on peut compter sur lui.

Alors depuis mon retour au travail ce soir, je serre les dents, et un peu aussi les fesses, même très fort. Pas évident de le faire assis dans le fauteuil de l’accueil, surtout que je ne voudrais pas le tacher, car Dame Jeanne m’en voudrait certainement, et l’humiliation qui me serait faite de devoir l’avouer m’a retenu de poser mon auguste postérieur où que ce soit. Tu feras ton service debout, Lucien, quoi qu’il t’en coûte !

Alors je tourne en rond, je fais des voyages entre l’accueil et les toilettes, les toilettes et l’accueil, tentant de retenir ce flux qui n’est jamais bien loin de rompre son barrage, et tentant aussi de savoir ce qui a bien pu le provoquer. Les mûres offertes par Madame Grolleix au sortir de la sieste ? Le pinard un peu aigre que j’avais laissé traîner dans une bouteille au soleil au fond du jardin ? Une maladie plus vicelarde, comme la gastro-entérite qui sévit peut-être à l’auberge depuis qu’il y a des mômes qui traînent leurs mains pleines de doigts un peu partout ?

En étant là dans mes interrogations, je finis par avoir un petit creux, parce que ça donne faim de se vider ainsi et qu’il faut bien remplir cet estomac qui gargouille, et je me dirige vers la cuisine pour tenter, en remplissant le réservoir d’un côté, d’empêcher une sortie inopinée par l’autre.

Et puis j’ai trouvé ce mot, scotché bien en évidence sur le panneau d’affichage à côté de l’entrée de la chambre froide, et signé de Janette, notre cuisinière émérite : Pour Lucien

Mon cher Lucien.

Il est bien naturel que la faim vous prenne au milieu de la nuit, et je n’objecte pas à ce que vous veniez vous restaurer. Je vois aussi que vous avez du goût pour mes recettes, et j’en suis flattée, et tout cela me va bien tant que vous puisez dans les restes des plats que je garde pour le personnel. Je n’objecte pas non plus à vos descentes dans la cave, tant que vous ne prenez pas les crûs les plus chers, au risque de vous faire attraper par la patronne, ce que je ne pourrais pas couvrir pour vous. La soif est compréhensible, surtout après un bon repas.

En revanche, prendre un demi-poulet rôti que j’avais préparé pour les paniers repas du lendemain comme vous l’avez fait jeudi, ou une part conséquente du saumon froid comme vous l’avez fait vendredi, ou encore d’autres mets qui ne vous étaient pas destinés et que j’ai dû refaire en urgence le lendemain matin pour le buffet du midi, je ne le tolèrerai pas plus longtemps.

Aussi j’ai décidé de vous jouer un petit tour, qui j’espère vous enseignera le respect dû à mon travail.

Il existe une plante aromatique rapportée de mes voyages, et dont vous connaissez maintenant les effets. À petite dose, elle donne un goût très subtil à mes plats. À forte dose, elle provoque toutefois quelques inconvénients. Je l’ai incorporée hier soir à ma tourte que j’avais préparée exprès pour vous, prélevant au préalable deux petites parts pour plus de vraisemblance. Vous avez pris la troisième.

Vous trouverez sur l’étagère à épices un antidote, dans une petite boîte rouge, c’est la seule et vous ne pouvez pas la manquer. Une cuiller à café diluée dans un bol d’eau chaude, et il ne faudra que quelques minutes pour que vous vous sentiez mieux.

Sans rancune j’espère.

Janette

J’ai bien failli me fâcher tout rouge, et puis j’ai réfléchi. J’ai pris le remède, et éclaté de rire, manquant d’ailleurs provoquer une catastrophe.

Ça va beaucoup mieux maintenant, mon Lulu, tu n’as pas perdu ton sens de l’humour.

Commentaires

1. Le lundi, juin 29 2020, 07:35 par Sacrip'Anne

J’ai éclaté de rire !

2. Le lundi, juin 29 2020, 08:11 par Nuits de Chine

Espérons que Lulu n’est pas rancunier. Les règlements de comptes entre veilleur de nuit et équipe de jour, ça ne peut pas bien finir.

3. Le lundi, juin 29 2020, 08:34 par Franck

Oh oh, le renard pris dans le poulailler ! Belle fable :-)

4. Le lundi, juin 29 2020, 08:35 par Mel'O'Dye

mouarfff pov’ Lulu :D

5. Le lundi, juin 29 2020, 08:37 par Natou

Ah je vois que l’accent de Marseille de Natou fait des petits ;-) Qué rire cette cagade ! La janette faut pas lui en promettre !

6. Le lundi, juin 29 2020, 11:01 par TarValanion

Oh la belle leçon !!

7. Le lundi, juin 29 2020, 11:54 par Avril

Sinon, à défaut d’antidote, il peut toujours se gaver de riz, notre pauv’ Lulu. Petite compassion amusée pour lui tout de même.

8. Le lundi, juin 29 2020, 13:21 par Ginou

Un bon fou rire ! Jeanne et Janette font une sacrée paire ! Et Lulu n’est pas rancunier …

9. Le mardi, juin 30 2020, 20:47 par FantomeDuPogo

Même avec un jour de retard sur la lecture, le fou rire est garanti. Une maline la petite Janette.